Terminus Londres depuis Marseille ? Une hypothèse qui pourrait devenir réalité. En février, Eurotunnel, opérateur de l’infrastructure du tunnel sous la Manche et London Saint-Pancras Highspeed, exploitant de la seule liaison ferroviaire internationale à grande vitesse du Royaume-Uni, ont officialisé un nouveau partenariat avec pour objectif d’accroître les services ferroviaires à grande vitesse entre la Grande-Bretagne et l’Europe continentale. En toile de fond, une étude publiée par Getlink il y a quelques mois, permettant d’identifier de nouvelles destinations, accessibles en moins de six heures, et d’affirmer l’objectif de doubler le nombre de destinations accessibles par le Tunnel sous la Manche dans les dix prochaines années. Un objectif qui s’inscrit dans la continuité du programme Etica (Eurotunnel Incentive for capacity additions) qui, après une première phase 2018-2024, entre dans sa seconde phase jusqu’en 2030, dédiée au trafic passagers transmanche.
Bordeaux et Marseille après la Suisse et l’Allemagne ?
Après Amsterdam, Bruxelles et Paris, ce sont Cologne, Francfort, Genève, Bâle et Zurich qui apparaissent comme les cibles les plus atteignables à court terme. « Ces choix de destinations sont pris en fonction de la taille des marchés visés, de durée du trajet, et également de l’état de la concurrence sur ces destinations », affirme le groupe Getlink, « l’étude a identifié l’Allemagne et la Suisse comme les marchés les plus importants en termes de volume et de demande ». Mais dans les coulisses, les destinations de Bordeaux et Marseille – en passant par Lyon – sont également évoquées. « C’est une ligne qui avait été lancée en 2015 et qui fonctionnait bien », approuve Audrey Brun Rabuel, directrice de l’agence régionale du développement Rising Sud, qui regrette sa fermeture depuis la pandémie de Covid-19.
Un coup de pouce pour le territoire qui tente de rattraper son retard en matière de transports, avec notamment l’ouverture à la concurrence sur les réseaux ferroviaires régionaux et l’arrivé mi – juin de la compagnie italienne Trenitalia sur la ligne à grande vitesse Paris-Marseille. Une dynamique de concurrence qui « redistribue toutes les cartes », selon Audrey Brun Rabuel, à l’instar de la maison mère de cette même compagnie italienne aux trains rouges, Ferrovie dello Stato Italiane (FS Italiane), qui prévoit également de se déployer au Royaume-Uni… sous la Manche directement en concurrence avec Eurostar en reliant, à son tour, Paris et Londres. « La demande pour les voyages en train n’est pas totalement satisfaite par l’offre actuelle et le nombre de sièges disponibles, notamment en période de forte demande, que ce soit en France mais aussi entre le Royaume-Uni et la France », souligne le groupe concessionnaire du tunnel transmanche. Dans la deuxième phase du programme Etica, Eurotunnel prévoit une enveloppe de 50 millions d’euros d’aides prévisionnelles aux opérateurs. Et pour faire le choix de l’opérateur, Getlink l’affirme « le facteur principal est le financement ». A l’image de l’entreprise ferroviaire britannique Virgin Trains qui a annoncé vouloir lever 800 millions d’euros.
Des opportunités multiples
Une évolution du tracé des lignes à grande vitesse qui, à bien des égards, profiterait à la Cité phocéenne. Pour le tourisme d’abord, activité économique majeure du territoire puisque la région a été la seule, en 2024, à bénéficier d’une augmentation de fréquentation quand une chute de 2% était relevée dans l’Hexagone. Les Britanniques sont une clientèle fidèle, en progression de 10% depuis le début de l’année 2025, avec près d’un million de séjours touristiques par an, soit plus de huit millions de nuitées dans la région et plus de 900 millions d’euros de retombées économiques, un touriste britannique dépensant plus de 110 euros par jour et par personne. Et si 84% de cette clientèle voyage pour un motif personnel, le reste contribue au tourisme d’affaires, en nette progression dans la région.
La concrétisation du projet serait également bénéfique pour l’économie régionale d’un point de vue de la balance commerciale puisqu’en 2021, la région importait 787 millions de biens britanniques et en exportait plus de 830 millions. Les investisseurs y trouveraient également des avantages, le Royaume-Uni étant « la troisième destination étrangère des investisseurs -14 projets en 2023 – qui représente environ 700 emplois en 3 ans », souligne la présidente de Rising Sud. Dans le sens inverse, une ligne à grande vitesse entre les deux métropoles permettrait « d’attirer plus facilement les talents » admet-elle.
Autre argument, le bénéfice écologique de l’option ferroviaire séduit. « Le gain pour un Londres-Marseille est l’équivalent de celui réalisé pour Londres-Genève, avec une réduction de CO2 de 95% engendrée par passager et par voyage, en comparaison d’un même voyage en avion », précise Getlink, qui analyse un « point de bascule de report modale du train vers l’avion à partir de quatre heures de trajet ». Une problématique qui a toute sa place à l’heure où « l’on ne peut pas faire venir les touristes sans le trafic aérien », selon Rising Sud.
Marseille est-elle prête ?
Mais pour l’heure, rien n’est encore fait. En Europe continentale, les gestionnaires d’infrastructure des réseaux concernés œuvrent pour préparer les sillons, l’interconnexion des réseaux ferroviaires nationaux, et l’aménagement des gares. Si les destinations allemandes et suisses sont prêtes, et que Bordeaux a entamé, en partie, le travail de préparation des sillons, ce n’est pas le cas pour la gare de Marseille. La gare Saint-Charles subirait-elle son retard et sa réputation, 26% des 25 millions de voyageurs s’y déclarant en insécurité ? Un mauvais point alors que « les infrastructures de sûreté et de contrôle des passeports à mettre en place » des gares des éventuelles destinations sont notamment évaluées, selon Getlink. Des faiblesses qui pourraient être gommées, la gare de la deuxième ville française devant entamer son extension en 2025 et bénéficiant prochainement du plan « Gare sans peur » mené par l’Etat, la Région et collectivités territoriales et SNCF Gares & Connexions pour restaurer la sécurité.
Quoiqu’il en soit, « Marseille a son épingle à tirer du jeu », comme le souligne Audrey Brun Rabuel, dans cette ouverture de la Grande-Bretagne et l’Europe continentale.