Arthur Nicholas Orchard / Hans Lucas
La parole est à l’avocate
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Un scandale a éclaté récemment lorsqu’on a appris que des détenus de la prison de Seysses se seraient fait masser. Pour certains, il faudrait faire souffrir les détenus comme ont souffert les victimes, s’agace notre chroniqueuse, Julia Courvoisier, avocate pénaliste au barreau de Paris. Qui se demande si ces petits génies de la haine se sont posé la question de l’après-prison. Car oui, l’immense majorité des détenus va sortir un jour ou l’autre. Et la question se pose : comment les réadapter à notre monde à nous ?
Alors que le Parlement va se pencher sur la « proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic », une petite nouvelle pénitentiaire a fait l’effet d’une bombe il y a quelques jours. Pour la Saint-Valentin, des détenus de la prison de Seysses (Haute-Garonne) se seraient fait masser et auraient passé du bon temps aux frais du contribuable. Scandale !
Même notre ministre de la Justice y a cru et, pour satisfaire une partie des électeurs gavés d’informations trop souvent imprécises sur le monde carcéral, a annoncé que dorénavant, il n’y aurait plus d’activités ludiques en prison sauf « celles qui concernent l’éducation, la langue française et le sport ». Fin de la récré : plus de massages de la voûte plantaire dans nos prisons ! Et même si la réalité s’est avérée bien différente de ce qui avait été annoncé dans la presse, Gérald Darmanin n’a pas fait machine arrière. Un homme politique ne se trompe jamais et ne revient jamais sur ses décisions. Encore plus si elles sont mauvaises.
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Mais une fois n’est pas coutume, nous avons débattu des conditions de détention dans nos prisons. Et si j’ai bien compris la conclusion, il faudrait faire souffrir les détenus comme ont souffert les victimes. Il faudrait leur en faire baver et les mettre au régime sec : sans télévision, sans sortie, sans activités, sans parloir, sans soin. Certains internautes ont même fait preuve d’une imagination remarquable : j’ai lu qu’il faudrait enfermer les détenus dans le noir pendant toute la durée de leur peine, ou les attacher à leurs lits comme certains malades psychiatriques.
Le cerveau humain veut du sang et des larmes. Et ne veut surtout pas entendre parler des nombreux rapports qui nous expliquent que les conditions de détention ne sont pas bonnes dans un certain nombre de nos prisons et que nous sommes parfois la honte de l’Europe. Aucun de ces petits génies de la haine ne s’est non plus posé la question de l’après. Oui, oui, vous m’avez bien lue : l’après-prison.
Donner aux détenus les clés d’une autre vie
Parce qu’il faut bien savoir que l’immense majorité des détenus va sortir un jour ou l’autre. Peut-on enfermer à vie celui qui a volé, escroqué, vendu du shit, renversé un piéton ? Peut-on enfermer à vie les milliers de gens qui sont, tous les ans, condamnés par la justice pénale ? Votre fils, votre frère, votre cousine, votre femme ?
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Que se passe-t-il après pour celui qui ressort au bout de deux ans, cinq ans, dix ou quinze ans : que fait-on de lui ? Comment le réadapter à notre monde à nous ? Comment faire pour qu’il travaille et qu’il se tienne loin de la délinquance ? Ne doit-on pas profiter de cette détention pour l’élever intellectuellement ? Le faire grandir socialement ? Ne doit-on pas, au moment où il est enfermé et qu’il paye de sa liberté les troubles qu’il a causés à l’ordre public, lui donner les clés d’une autre vie ? Évidemment que oui.
Et cela passe par un certain nombre de choses qu’en liberté, nous faisons. Nous travaillons, nous lisons, nous allons voir des films, nous écoutons de la musique, nous débattons de sujets de société, nous votons, nous faisons du sport. Nous sommes en contact social avec des gens différents de nous, qui raisonnent autrement. Nous apprenons à grandir par tout un tas d’activités. Ces expériences font que nous ne sommes pas les mêmes individus à quarante ans qu’à vingt ans.
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Tout cela n’est évidemment pas possible aussi facilement en prison. Mais il faut essayer de rapprocher nos détenus de notre vie à nous pour leur expliquer qu’ils y ont leur place. C’est un long chemin, et il y a des échecs, c’est vrai. Et puis il a ceux qui passent leur bac, qui apprennent un métier, obtiennent des diplômes. Et qui n’ont plus jamais affaire à la justice. Ceux-là, on n’en parle jamais. Et pourtant, ils existent.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne