La force des régulateurs, c’est leur indépendance par rapport au pouvoir exécutif lorsqu’un conflit d’intérêt pointe, lorsque, par exemple, l’État a son champion économique, ex-monopole. Ensuite, il y a des régulateurs à vocation technique qui protègent l’environnement, notre santé, notre sécurité alimentaire. Cette indépendance est plus ou moins forte avec un ministre de tutelle qui garde le dernier mot. Mais elle est l’ADN de ces institutions.
Un régulateur indépendant, c’est une nouvelle séparation des pouvoirs, un quatrième pouvoir, en plus de l’exécutif, du judiciaire et du législatif. Mais on peut voir cette indépendance comme anormale, car ces régulateurs n’ont de compte à rendre à personne, peut-être au Parlement lors d’auditions en commission.
Pour garder un lien avec la Nation, un régulateur vertueux s’exposera, proposera des consultations, tiendra compte de ces dernières dans son action et ses textes. Mais ce quatrième pouvoir peut aussi être vu comme un coup de canif à la séparation des pouvoirs puisque voilà deux pouvoirs « légitimes », le législatif et l’exécutif, empêchés de fonctionner du fait des interférences d’un régulateur.
Avec son executive order, l’administration Trump a pris cette option. En préambule, il rappelle que tous les pouvoirs exécutifs émanent du Président (c’est l’interprétation unitariste de la constitution US qui dit: The Executive Power shall be vested in a President of the United States of America).
Vue unitariste
Le Président, lit-on, qui concentre beaucoup de pouvoirs, est aussi le seul membre du pouvoir exécutif, dit-il, à rendre des comptes à la Nation via des élections tous les 4 ans. C’est court et c’est un équilibrage à son pouvoir fort. Il n’y a pas de gouvernement qui peut chuter, juste des membres de son cabinet, les ministres, adoubés par le Congrès, sans possibilité de revenir sur leur nomination.
Les administrations précédentes ont laissé pulluler, dit cet E.O, des régulateurs indépendants avec une supervision du Président minimale. : ils promulguent des régulations qui vont loin sans son contrôle. C’est terminé, dit-il. Dorénavant, toutes les décisions prises par les régulateurs parviendront à l’Office of Information and Regulatory Affairs (OIRA) avant publication au journal officiel.
Le directeur du l’OIRA fournit désormais les objectifs des patrons des régulateurs comme un chef de service à ses employés et il doit rapporter leurs performances au Président. Les régulateurs devront servir les politiques du Président et ses priorités. Là aussi, c’est briser l’essence d’un régulateur qui travaille au long terme sur des objectifs non politiques, qui visent le bien public.
Un officier de liaison sera créé pour chaque agence au sein de la maison blanche. Et enfin, seuls le ministre de la Justice et le Président ont l’autorité de pouvoir interpréter des lois que les régulateurs appliquent. Seules leurs interprétations font autorité. Tout employé qui interpréterait de son chef les lois de manière contraire à la pensée du président ou de son ministre de la Justice est dans l’illégalité. Mais alors, quelle est la différence entre un régulateur et un ministère.
Des agences aussi puissantes que la FCC (télécom), la FTC (commerce) ou la SEC (marchés financiers) vont donc perdre toute indépendance. Mais ceci n’est pas tout à fait nouveau : en 1935, la Cour suprême avait déjà dit que les régulateurs avaient des pouvoirs à la fois quasi législatifs et quasi exécutifs, à mi-chemin entre les deux. En 2010 et 2020, la Cour suprême a émis des arrêts dans le sens d’un début de fin de l’indépendance des régulateurs : les membres d’un organe né dans le cadre de la loi Sarbanes-Oxley Act pouvaient être démis de leur fonction par le Président et en 2020, un autre arrêt ne donnait protection aux dirigeants d’une agence que s’ils étaient plusieurs à la diriger….
Il y aura évidemment des recours en justice là comme ailleurs où Trump applique sa vision unitariste du pouvoir exécutif (c’est son fil conducteur). Il ne les perdra pas tous, mais ceux qu’il gagnera, c’est autant de grignoté pour son pouvoir absolu. Il s’inscrit dans la lignée de Reagan et Bush qui avaient remis le couvert après les limites apportées à cette vision unitariste, après la présidence de Nixon. Trump (ou plutôt ses conseillers) sait ce qu’il fait sous les dehors d’un chaos très organisé.
Ne jetons pas les régulateurs trop vites : tout ce qui peut éviter la concentration des pouvoirs est bienvenue, mais qu’ils soient proches du terrain dans leur action. C’est ce qui leur manque.
Pour en savoir plus
Charles Cuvelliez