Résorber le déséquilibre en faveur des garçons dans les formations aux métiers d’ingénieurs et du numérique, tel est l’objectif que s’est fixé la ministre de l’Éducation avec le plan « Filles et maths », présenté ce mercredi. Celui-ci prend la forme de différentes actions destinées à « mobiliser la communauté éducative et les parents afin d’inciter les jeunes filles à se former aux sciences de l’ingénieur et du numérique », précise le ministère.
Le premier « pilier » prévoit ainsi de « former et sensibiliser » aux biais de genre et aux stéréotypes dans l’apprentissage des mathématiques tous les professeurs dès la rentrée 2025, du primaire au lycée. « Les filles ont moins confiance en elles (…) Elles lèvent moins la main quand on fait un cours de maths. Si on n’est pas attentif à ça, on interroge tout le temps les garçons et pas les filles », a souligné sur France Inter Élisabeth Borne, elle-même passée par l’école d’ingénieurs Polytechnique.
Le plan prévoit aussi l’expérimentation de classes scientifiques à horaires aménagés en 4e et 3e, avec un objectif de 50 % de filles dans chacune. « Ces dispositifs existent aujourd’hui pour la musique ou le théâtre », a rappelé la ministre. « On va expérimenter dans cinq académies dès la rentrée et on veut généraliser, avec au moins une classe de ce type dans chaque département, à la rentrée suivante ». Au total, huit grandes mesures ont été établies par le ministère pour permettre aux filles de « prendre toute leur place dans les métiers de l’ingénieur et du numérique ».
Des inégalités dès le primaire
Des études montrent que le décrochage des filles pour les maths se remarque… dès le CP. « Si l’appétence des filles pour les mathématiques est équivalente à celle des garçons à la rentrée, un écart apparaît dès le 1er trimestre et se creuse tout au long de la scolarité », indique le ministre de l’Éducation. Ce que confirme Thierry Rocher, président de l’Association internationale pour l’évaluation des performances scolaires (IEA). « Tout semble se jouer au milieu du CP, lorsqu’on commence à parler de “mathématiques” et plus seulement de chiffres, de groupes ou de nombres », indiquait-il en fin d’année dernière au journal Le Point.
Et cela se ressent sur le niveau en maths des écoliers et écolières, comme le montrent les résultats de la dernière étude internationale TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study), publiée en décembre par l’IEA, qui compare les performances en mathématiques des élèves de CM1 dans 58 pays. Avec 484 points, le niveau global n’est pas franchement bon côté français. Et il l’est encore moins pour les filles, qui affichent 23 points de moins que les garçons. Un écart qui s’est accentué par rapport aux précédentes éditions (13 points en 2019, 6 en 2015). « C’est un phénomène troublant, que l’on retrouve dans toutes les écoles de France et les milieux socio-économiques, et que l’on ne parvient pas encore à expliquer », commentait Thierry Rocher, rappelant que cet écart n’est pas constaté en grande section de maternelle.
Sur le plan cérébral, rien ne tend d’ailleurs à expliquer cette différence. Toutes les études démontrent au contraire que les enfants ont les mêmes capacités d’apprentissage et ce quel que soit leur sexe. Le problème vient donc d’ailleurs.
Les filières scientifiques désertées des filles
Partant de ce constat, ce n’est pas une surprise de voir que, au lycée, les filles sont sous représentées dans les filières scientifiques. L’enseignement de la spécialité mathématique en terminale est ainsi suivi par 42 % de filles, d’après le ministère de l’Éducation. C’est pire encore en sciences de l’ingénieur et en numérique et sciences informatiques (15 %). Par la suite, les filles ne représentent plus que 25 % des étudiants qui intègrent des formations supérieures conduisant aux métiers d’ingénieurs et du numérique. Une proportion qui « stagne depuis 20 ans », précise le ministère.
Les chiffres ne sont pas mieux dans les écoles d’ingénieurs françaises. 33 % de leurs effectifs sont des filles, soit le taux de féminisation le plus faible de l’enseignement supérieur en 2022, d’après le 8e baromètre sur l’égalité femme homme de la Conférence des grandes écoles (CGE). Un niveau qui n’a augmenté que de 9 points par rapport à 2015. « Depuis dix ans, ça ne bouge quasiment pas. Ce manque de mixité est alarmant alors que les enjeux climatiques et sociétaux nécessitent un maximum de sensibilités pour proposer des solutions durables. Nous nous privons d’une part importante de compétences qui sont vitales pour notre avenir », déplorait auprès du Figaro Étudiant le président de la CGE, Laurent Champaney.
La société entière pénalisée
Cette sous-représentation a un impact sur l’économie. « Les effets estimés sur la croissance sont de l’ordre de 10 milliards d’euros par an », a chiffré l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, dans un rapport publié en février. Elle a aussi des répercussions sur le niveau de vie des femmes puisqu’elle les « prive de débouchés vers des carrières souvent mieux rémunérées ».
« Le problème est culturel. Les ingénieurs, et surtout les femmes ingénieurs, sont invisibles dans la société, les films et les médias. Il leur est donc très difficile de se projeter alors qu’il n’y a aucune raison à ça », estime Laurent Champaney, par ailleurs directeur général des Arts et Métiers.
Or, c’est l’ensemble de la société qui ressortirait gagnante. « Plus il y aura de femmes ingénieures et plus on aura un environnement vraiment mixte », considère Emmanuel Duflos, président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI), auprès du Parisien Étudiant. Et d’expliquer : « Aujourd’hui par exemple, en médecine, les recherches sont menées par des hommes, les tests de médicaments sont faits sur des hommes, donc les effets secondaires sont ceux des physiologies masculines, il y a des biais. Si vous transposez ça à l’IA (intelligence artificielle), c’est pareil : les algorithmes et les bases de données sont alimentés par des réflexions qui sont majoritairement masculines, il y a une façon de voir les choses qui est culturellement différente. Il est fondamental que dans une société équilibrée, il y ait beaucoup plus de femmes ingénieures : dans le numérique, dans la mécanique ou dans l’industrie 4.0 par exemple ».
(R)évolution en cours
Le déséquilibre ne datant pas d’hier, des initiatives ont vu le jour ces dernières années pour tenter d’améliorer la situation. Certaines sont de l’ordre de la communication, pour promouvoir les formations et métiers d’ingénieurs et montrer que les femmes y ont toute leur place. À l’instar de l’opération Ingénieuses, lancée en 2011 par la CDEFI.
D’autres prennent la forme de rencontres physiques. « TechPourToutes » propose ainsi un dispositif gratuit d’accompagnement aux jeunes femmes de 15 à 25 ans voulant découvrir les métiers techniques du numérique ou souhaitant suivre des études supérieures dans le numérique. Les associations Animath et Femmes & Mathématiques organisent les « Journées Filles, Maths et Informatique » et les « Rendez-vous des Jeunes Mathématiciennes et Informaticiennes » pour encourager les jeunes filles à suivre un cursus scientifique, en particulier en mathématiques et en informatique.
Autre exemple : via le programme « 1 scientifique, 1 classe : chiche ! », des élèves de seconde rencontrent, en classe, des scientifiques du numérique dans le but notamment de combattre les stéréotypes sur les métiers de la recherche et les représentations souvent genrées des métiers du numérique. Une liste loin d’être exhaustive et plus que nécessaire compte tenu du chemin qu’il reste encore à parcourir pour atteindre l’égalité.
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Agathe Perrier