Depuis l’investiture de Donald Trump, une véritable chasse aux données publiques est en cours aux États-Unis. Des collectifs de citoyens, d’universitaires et de professionnels du numérique se mobilisent pour archiver des milliers de pages Web et de sites gouvernementaux menacés de disparition ou de modification. Leurs efforts visent à préserver des informations cruciales sur le changement climatique, la santé publique, les droits des minorités et bien d’autres sujets d’intérêt public.
Cette initiative d’archivage massif fait suite à un décret présidentiel de janvier, qui a déclaré « illégaux » les programmes et politiques de « DEI » (« diversité, équité et inclusion ») au sein de l’administration fédérale. Cette décision a entraîné la suppression ou la modification de nombreuses bases de données, suscitant l’inquiétude quant à l’accès futur à des informations essentielles pour la recherche, la prise de décision et la transparence démocratique.
Des milliers de pages web effacées, des sites entiers disparus
Les chiffres sont alarmants : selon Paul Schroeder, président du Conseil des associations spécialisées dans les statistiques gouvernementales américaines (Copafs), « plus de 3 000 pages ont été retirées » du site du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) et « plus de 1 000 » du site du ministère de la Justice. Certains sites Internet ont même purement et simplement disparu, comme celui de l’Agence américaine de développement USAid, dont les fonds d’aide internationale ont été gelés. La page de l’enquête nationale sur la santé des enfants affiche désormais une impénétrable « erreur 404 ». Parallèlement, les agences fédérales ont reçu pour consigne de bannir ou d’éviter l’utilisation de centaines de mots jugés « sensibles » dans leurs communications, tels que « femme », « handicap », « racisme », « crise climatique » ou « pollution », selon le New York Times. Cette politique de censure lexicale accentue encore davantage l’opacité entourant les données publiques. L’urgence de sauvegarder les données climatiques et environnementales
Eric Nost, géographe à l’université de Guelph (Canada) et membre de l’association Environmental Data & Governance Initiative (Edgi), souligne que « l’administration Trump 2 met particulièrement l’accent sur la suppression du champ lexical, des données et des outils de la justice climatique ». Il constate une action « plus rapide et avec une plus grande portée que la précédente » administration Trump.
L’Edgi, consortium d’universitaires et de bénévoles, s’est mobilisé dès la première élection de Donald Trump pour sauvegarder les données publiques sur le climat et l’environnement. Ils utilisent des outils tels que la WayBack Machine de l’Internet Archive et Perma.cc, développé par le « Library Innovation Lab » de la faculté de droit de Harvard.
Des outils numériques au service de la mémoire collective
Ces interfaces d’archivage Web, utilisées de longue date par les journalistes, les chercheurs et les ONG, permettent de conserver une copie d’une page Web à un instant précis, même si elle disparaît ou est modifiée ultérieurement. Les données sont ensuite stockées sur des serveurs, dans une vaste bibliothèque numérique accessible à tous. Depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, les initiatives d’archivage se sont multipliées et coordonnées, avec la création notamment du Data Rescue Project. Lynda Kellam, documentaliste à l’origine de cette initiative, a lancé un Google Doc pour répertorier tous les projets en cours. La plateforme, alimentée par des bénévoles, recense les fichiers PDF téléchargés, les titres originaux des jeux de données et les liens archivés.
Un défi financier et politique majeur
La pérennité de ce travail de sauvegarde, largement assuré par des associations et des bibliothèques universitaires, est cependant menacée par un manque de moyens. « Le financement est la question clé (…) pour pouvoir relever un défi de préservation plus important que jamais », alerte Jack Cushman, directeur du Library Innovation Lab d’Harvard. « Nous devons financer des coordinateurs pour poursuivre nos démarches, de nouveaux outils et de nouveaux espaces pour stocker les données ».
L’université de Harvard, elle-même dans le viseur du président américain, risque de voir ses subventions fédérales et ses avantages fiscaux réduits. Cette situation met en péril les efforts de sauvegarde des données publiques, pourtant essentielles au bon fonctionnement de la société. « Ces données sont un phare moderne qui nous aide à organiser nos vies », regrette Jack Cushman. « Les entreprises, les particuliers et les gouvernements souffriront beaucoup de l’absence de collecte et de partage de données fiables sur la météo et le climat, la santé, la justice, le logement, l’emploi, etc. »
(Avec AFP)
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