Lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur : “Une loi qui institutionnalise le wokisme le plus radical”

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Lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur : “Une loi qui institutionnalise le wokisme le plus radical”




















Le ministre de l’Enseignement supérieur Philippe Baptiste.
THOMAS SAMSON/AFP

Tribune

Par Anne-Marie Le Pourhiet

Publié le

Les députés ont adopté ce 7 mai la proposition de loi relative à « la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans l’enseignement supérieur ». S’il est indispensable de faire face à la montée du racisme et de l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, Anne-Marie Le Pourhiet, professeur émérite de droit public, estime que certains volets de ce projet de loi posent problème.

Les députés viennent d’approuver une proposition de loi sénatoriale visant à lutter contre l’antisémitisme et le racisme dans l’enseignement supérieur, qui prévoit notamment la création d’une section disciplinaire commune aux établissements d’une même région académique. Cette proposition de loi fait suite à une mission d’information lancée après les accusations d’antisémitisme qui ont accompagné la tenue d’une conférence pro-palestinienne à Sciences Po Paris. « Pas un seul étudiant ne doit hésiter à se rendre en cours parce qu’il craint d’être exposé à l’antisémitisme », a martelé en ouverture des discussions, mardi, le ministre de l’Enseignement supérieur Philippe Baptiste. De fait, à l’université, neuf étudiants juifs sur dix disent avoir subi des actes antisémites selon un sondage de l’Union des étudiants juifs de France. Un climat anxiogène fait de harcèlement insidieux mais aussi d’inscriptions, d’injures, de menaces, d’apologie du terrorisme ou du nazisme, et, des faits de violence. Au total ce sont quelque 70 signalements d’antisémitisme qui ont été recensés depuis les attentats du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 selon le ministère – six d’entre eux ont débouché sur des procédures disciplinaires et 14 sur des signalements au procureur de la République, d’où la nécessité d’agir. Mais pour la professeur émérite de droit public Anne-Marie Le Pourhiet, qui se place d’un point de vue juridique, certains articles de ce projet de loi portent en eux les ferments d’une potentielle dérive liberticide.

***

La république et le communautarisme, la liberté d’opinion et la lutte contre les « phobies » sont ainsi le terrain d’élection de la duplicité et de l’hystérie contemporaines, rendant nos lois et nos politiques publiques parfaitement obscures et illisibles au point que l’on éprouve souvent le sentiment anxiogène d’être représentés et gouvernés par des fous.

Big Brother à l’université

Une grande partie du spectre politique et médiatique se plaît ainsi depuis quelque temps à dénoncer, à juste titre, le « wokisme » universitaire c’est-à-dire la défense sectaire et intimidante de susceptibilités identitaires allant jusqu’à l’interdiction d’exprimer une opinion négative ou de porter un jugement critique sur une minorité ethnique, religieuse, sexuelle ou « culturelle » en général. Mais ceux-là mêmes qui se posent ainsi en défenseurs scrupuleux de la liberté d’expression et des libertés académiques en proclamant, crayon en main, qu’ils sont « Charlie », n’ont cependant de cesse, en parallèle, que de vouloir multiplier les lois et décrets tendant à dissuader et réprimer sévèrement l’expression d’opinions qu’ils désavouent ou la critique de groupes ou même d’États qu’ils entendent soutenir et protéger aveuglément.

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C’est ainsi qu’au moment même où se fait le procès de « l’obscurantisme woke », le parlement français adopte une proposition de loi initiée par un groupe de sénateurs « relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur » qui ne fait rien d’autre que renforcer et institutionnaliser le wokisme universitaire le plus radical. Ce texte entend en premier lieu soumettre les étudiants comme les enseignants-chercheurs à des « formations à la lutte contre l’antisémitisme » comprenant notamment « un module spécifique portant sur l’histoire de l’antisémitisme et ses formes renouvelées de l’antisémitisme définies par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste » (IHRA). Cette action préventive est confiée à un « référent qualifié » au sein de la « mission égalité et diversité » qui est aussi en charge de la propagande féministe et LGBT dans le monde académique.

Mais le texte comporte également un volet répressif reposant sur un « dispositif de signalement », c’est-à-dire un système de délation ouvert à « toute personne s’estimant lésée par les agissements d’un enseignant-chercheur » et qui doit naturellement déboucher sur une procédure disciplinaire s’ajoutant à la démarche pénale que les présidents d’Université sont également invités à entreprendre. Enfin, ce législateur « libéral » n’hésite pas à créer également une section disciplinaire régionale commune à plusieurs universités et présidées par un magistrat administratif qui sera chargée de sanctionner les étudiants accusés d’antisémitisme. Ce dernier terme n’étant défini que par référence à la rédaction de l’IHRA qui vise « une certaine perception des Juifs qui peut se traduire par de la haine envers eux », on n’ose imaginer la chasse aux sorcières qui va pouvoir se répandre à l’Université française. Toute manifestation de sympathie à l’égard des Palestiniens ou toute appréciation critique de la constitution ou des agissements de l’État d’Israël expliquée, par exemple, par un professeur de droit international public ou de droit constitutionnel, pourrait valoir à son auteur d’être traduit devant le tribunal de l’inquisition universitaire. Le parallèle avec Big Brother ou le régime chinois ne semble pas venu à l’esprit des promoteurs de cette loi.

Projet communautariste

Les sénateurs n’en sont en réalité pas à leur coup d’essai sur le sujet puisqu’ils avaient aussi déposé une précédente proposition de loi « pour consacrer la lutte contre l’antisémitisme » qui ne préconisait rien moins que la « réécriture totale du droit pénal relatif aux actes antisémites », lesquels engloberaient selon l’exposé des motifs, toutes les « contestations antisionistes » et les offenses à la « communauté religieuse et ethnique juive » !

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Bien entendu, les formations politiques auxquelles les auteurs de ces textes appartiennent ne manquent jamais une occasion de condamner par ailleurs le communautarisme. Certaines d’entre elles voulaient même interdire les « listes communautaires » aux élections municipales. Mais consacrer une « communauté religieuse et ethnique juive » dans le droit français ne leur paraît en revanche pas du tout contraire à l’article 1er de la Constitution qui proclame pourtant l’égalité des citoyens devant la loi « sans distinction d’origine, de race et de religion ». L’incohérence politique et le clientélisme éhonté de nos représentants ne semblent plus avoir de limites. Il est navrant qu’au pays de Voltaire, le parlement en soit arrivé à voter des textes aussi liberticides. L’on pourrait sans doute espérer une censure du Conseil constitutionnel sur cette loi mais sa jurisprudence à géométrie variable sur la liberté d’expression est malheureusement bien connue : « Filtrer le moustique mais laisser passer le chameau. »

Dans son manifeste de 1898 contre les « lois scélérates » qui visaient à réprimer le mouvement anarchiste en créant (déjà) un délit d’apologie, Léon Blum, alors conseiller d’État et signant simplement « un juriste », concluait sa critique par ce beau credo libéral : « Telle est l’histoire des lois scélérates : il faut bien leur donner ce nom, c’est celui qu’elles garderont dans l’histoire. Tout le monde avoue que de telles lois n’auraient jamais dû être nos lois, les lois d’une nation républicaine, d’une nation civilisée, d’une nation probe. Elles suent la tyrannie, la barbarie et le mensonge. Tout le monde le sait, tout le monde le reconnaît ; ceux qui les ont votées l’avouaient eux-mêmes. Combien de temps vont-elles rester encore dans nos Codes ? » Ces lois scélérates sont malheureusement de retour.


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