C’est la tentative de la dernière chance. 22 salariés de Vencorex, appuyés par la FNIC-CGT (Fédération nationale des industries chimiques), ont déposé mercredi une offre de reprise en SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) auprès du tribunal de commerce de Lyon. Objectif : sauver le site de la plateforme chimique située à Pont-de-Claix, en Isère, ainsi que 460 emplois directs et 5.000 à 6.000 indirects, menacés par une liquidation judiciaire de l’industriel.
Ce jeudi, le tribunal de commerce de Lyon a octroyé une prolongation de 6 mois de la période d’observation, avec une audience intermédiaire prévue le 3 avril. « A partir de fin avril, il n’y aura plus de fonds, donc cela n’ira pas plus loin, avertit cependant Carole Fruit, secrétaire générale de la CFDT Chimie Energie Dauphiné Vivarais. Et vis-à-vis des salariés, qui sont dans l’incertitude depuis septembre, c’est très angoissant ».
Le dossier de Vencorex fait la Une de l’actualité depuis septembre dernier, et le placement en redressement judiciaire de l’industriel, détenu par le groupe thaïlandais PTT GC. Une seule offre de reprise de l’activité – très partielle – n’avait été présentée jusqu’alors, portée par le Hongrois BorsodChem, concernant uniquement l’atelier de production de tolonates, soit 54 emplois. Une offre « encore en attente d’être améliorée et d’être concrétisée », selon les propos du tribunal, rapportés par l’élue CGT, Séverine Dejoux.
Les élus locaux, de leur côté, se sont mobilisés ces derniers mois pour réclamer la nationalisation temporaire de l’entreprise. Une demande refusée par le ministre de l’Industrie Marc Ferracci dans un premier temps, puis par le Premier ministre François Bayrou.
Les défenseurs de la nationalisation soulignent l’interdépendance dans l’industrie chimique et craignent un effet domino sur plusieurs entreprises voisines, comme Arkema, qui a déjà annoncé l’arrêt d’une partie de ses activités sur le site de Jarrie. Autre argument avancé : les enjeux de souveraineté nationale. Le sel produit par Vencorex est en effet transformé par Arkema en perchlorate, utilisé pour produire le carburant de la fusée Ariane 6 ainsi que de missiles de dissuasion. Il entre également dans la production d’éponge de zirconium indispensable au nucléaire civil. « À l’heure où l’ordre du monde est totalement perturbé, il est vital de viser la souveraineté industrielle, dès qu’on le peut », affirme ainsi la conseillère régionale Les Ecologistes Alexandra Caron-Cusey.
La création d’une coopérative représenterait ainsi la solution de la dernière chance. Une SCIC est un statut d’entreprise coopératif qui associe des personnes physiques ou morales autour d’un projet commun, d’intérêt public « alliant efficacité économique, développement local et utilité social », précise le site de la CG SCOP. Une SCIC permet donc de réunir autour d’un projet les salariés, les bénéficiaires mais aussi des acteurs publics, comme les collectivités territoriales. Dans le cas de Vencorex, elle pourrait permettre de faire participer de potentiels industriels qui auraient un intérêt au maintien de l’activité.
Le soutien de la Métropole de Grenoble
Mais monter un tel projet demande du temps. « Nous sommes dans la phase de recherche de partenaires, précise Séverine Dejoux, élue CGT de Vencorex. Des sous-traitants ont déjà fait part de leur intérêt, nous espérons rallier bien au-delà de la plateforme de Pont-de-Claix. » Des contacts sont en cours, ou prévus, avec d’autres groupes de l’industrie chimique.
« En soi, monter une SCIC, d’un point de vue statutaire, juridique, c’est assez rapide. Ce qui prend davantage de temps, c’est de mettre les différents sociétaires autour de la table, et de réaliser le montage financier », explique Martin Werlen, co-fondateur du cabinet Résiliences.
Une SCIC doit comporter au moins trois collèges, avec différents profils. « Ce qui est intéressant, c’est qu’elle permet une vision écosystémique, en s’appuyant à la fois sur les salariés et sur les différents partenaires, qui vont décider ensemble des orientations de l’entreprise », poursuit Martin Werlen.
Côté pouvoirs publics, la Métropole de Grenoble a confirmé participer « au travail sur une SCIC pour reprendre les activités et emplois de Vencorex ». La communauté d’agglomération a ainsi déposé une lettre d’intention auprès du Tribunal de commerce de Lyon, pour confirmer sa participation, « sous réserve de l’engagement de l’État, de la Région et d’industriels ». Les communes de Pont-de-Claix (où est située la plateforme chimique) et de Jarrie (qui abrite également une plateforme chimique où est implanté Arkema), ont aussi manifesté leur soutien. L’État et la Région, pour le moment, ne se sont pas exprimés sur ce point, mais la CGT doit être reçue ce vendredi à Bercy, pour évoquer le projet.
Le Groupe écologiste à la Région Auvergne Rhône-Alpes estime pour sa part que « pour enclencher le projet, la Région pourrait investir 5 millions d’euros par le biais de dispositifs déjà utilisés : participations en SCIC, garanties d’emprunt et subventions à l’investissement productif. Un financement nécessaire alors que les salariés rencontrent, cette semaine, des investisseurs et des grandes entreprises françaises qui pourraient soutenir le projet. »
Selon nos informations, le projet est étudié depuis plusieurs semaines du côté des salariés, qui ont mandaté des cabinets experts. Reste à savoir si un site industriel classé Seveso seuil haut peut être repris avec un statut coopératif.
« Le critère numéro un reste toujours la pérennité »
Contacté également par La Tribune, l’avocat en droit du travail, Ralph Blindauer, qui a suivi d’autres plans sociaux, estime qu’il n’existe aucun obstacle à ce qu’un acteur industriel, même issu d’une installation dite classée, soit repris sous forme coopérative (Scop, SCIC…). « Juridiquement, il n’existe pas d’obstacle à ce qu’une offre soit regardée par le tribunal de commerce de la même façon qu’un autre projet : le critère numéro un restant toujours la pérennité, la fiabilité économique et le nombre d’emplois repris. »
Pour autant, celui-ci pointe qu’outre l’assise financière et la capacité à investir et réinvestir dans un projet industriel, qui plus est Seveso seuil haut, les tribunaux de commerce, qui s’appuient sur des juges dits non professionnels, ont moins l’habitude d’évaluer des projets coopératifs. « Les patrons de l’industrie peuvent aussi avoir moins l’habitude des modèles économiques alternatifs, où les salariés comptent faire la démonstration qu’une usine puisse fonctionner sans actionnaire et patronat. Pour autant, lorsqu’on parle de pérennité économique, ce n’est pas la même chose de rechercher une pérennité économique pour l’entreprise et pour ses actionnaires, qui réclament toujours plus de dividendes, que pour l’entreprise, ses salariés et son environnement ».
Avec, au niveau des précédents, un portrait qui reste à double-tranchant à l’heure actuelle : « Le dernier exemple en date peut-être, au niveau national, le cas de la verrerie Duralex (reprise en juillet dernier sous forme de Scop, ndlr), mais d’un autre côté, on a eu aussi récemment à Lyon le cas de la première Scop de France, Scopelec, qui a été liquidée… » Reste également la question des autorisations administratives et des contrôles de sécurité imputables aux sites Seveso seuil haut, qui devraient être examinés de manière objective quant aux conditions de leurs réalisations et aux investissements annuels nécessaires.
Un projet très théorique
La direction de Vencorex France, contactée par La Tribune, considère que le projet reste très « théorique » pour le moment. Et pas réellement crédible. « Le projet de SCIC s’appuie sur celui mené par la direction de Vencorex il y a un an, qui reposait sur la renégociation de contrats avec des interlocuteurs. A l’époque, les négociations n’avaient pas abouti. Il n’y a donc aucune raison qu’il y ait un changement de position de la part de ces acteurs, surtout que les conditions de marché se sont dégradées depuis. Sans oublier qu’Arkema a décidé de fermer ses activités liées au sel ».
« Nous n’avons encore que très peu d’éléments, mais il faut pouvoir apporter 36 millions d’euros », ajoute quant à elle Carole Fruit, de la CFDT. « Je n’y crois absolument pas, d’autant que le projet de SCIC repose sur le même que la nationalisation, que des experts ont regardé et considéré comme non rentable », poursuit-elle. Enfin, dernière crainte de sa part sur la question : BorsodChem, qui a entraîné la chute de Vencorex en pratiquant des prix bas, resterait le principal concurrent à l’éventuelle SCIC. « Et ils ne leur feraient pas de cadeau, ils ont les moyens… ».