Mardi 13 mai 2025 est tombé le délibéré dans l’affaire dite « Gérard Depardieu », une affaire d’agressions sexuelles sur le tournage d’un film en 2021. Les juges de la 10ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris, ont innové en accordant 1000 euros de dommages-intérêts aux parties civiles sur le fondement de la « victimisation secondaire », un concept issu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur lesquels les premiers juges se sont fondés pour sanctionner les propos tenus par mon confrère, Jérémie Assous, conseil de Gérard Depardieu, au cours des cinq jours d’audience.
Il s’agirait d’une victimisation distincte de celle qui résulte de la commission des infractions en cause et, d’autre part, imputable aux autorités judiciaires. C’est ainsi que la notion se rapproche de celle de « violences institutionnelles », dont les juges peuvent craindre être les auteurs, principalement par manque de moyens suffisants alloués à la justice.
Mais dans le cas précis, ce n’est pas la justice qui est en cause mais l’attitude de l’avocat du prévenu qui est sanctionné. Du jamais vu, excepté en matière disciplinaire quand l’ordre s’en empare ou en cas d’outrage à magistrat. Ce qui n’est pas invoqué, que je sache. Le tribunal ne s’est donc pas contenté de condamner le prévenu, il a également condamné son avocat. L’avocat de l’acteur Gérard Depardieu.
« Taisez-vous Maître ! Vous êtes l’avocat d’une star de cinéma, pas la star vous-même. » en sous texte de ce délibéré. Et pour la peine, nous le condamnons pour vous avoir choisi. « Saura-t-il en tirer les enseignements et vous décharger… », pourrait-on interpréter. Petite leçon d’humilité. Petite humiliation savoureuse et sadique.
Au diable les droits de la défense et l’immunité de la robe ! Metoo a réussi son coup. Tout le monde aux abris. Accuser c’est condamner.
Quel intérêt, au fond, d’accuser si ce n’est pas vrai, dira celui-ci… Les femmes ne veulent plus se taire, assènera celle-ci. « Pensez-vous aux victimes ?», intimera-t-elle à telle ou telle autre. La présomption d’innocence, oui mais ! Car c’est ainsi dans ce nouveau monde. Les accusés sont condamnés avant d’avoir été jugés. Tout le monde sait, après tout….
Même nous, avocats devrions le savoir et nous y plier. Sous peine de pénaliser nos clients qui sont condamnés du fait de nos agissements. Une sorte de responsabilité du fait d’autrui, comme on est responsable de son chien, on est responsable de son avocat.
Le procès pénal doit désormais devenir un exercice de contrition. Juste le droit de reconnaître et courber l’échine. Un plaider coupable. Point besoin d’avocat dans ses conditions. À quoi bon s’embarrasser de cet empêcheur de tourner en rond qui se fait payer en plus.
Même notre confrère Jacques Vergès qui fut notamment l’avocat du nazi Klaus Barbie, le boucher de Lyon, et initia la plaidoirie dite de rupture ne reçut pas un accueil aussi récalcitrant et hostile. Et tant d’autres qui eurent la lourde tâche et l’honneur d’assurer la défense de ceux que tout accuse, lynchés par la foule, stigmatisés, ostracisés.
Robert Badinter au secours ! J’entends encore ces mots « Défendre encore défendre toujours défendre », comme un mantra dirait-on aujourd’hui, quand vous citez les conseils de votre premier patron et mentor, Maitre Henri Torres dans « L’exécution », un livre à mettre entre toutes les mains.
Je me souviens encore de l’admiration en lisant vos lignes qui donnaient tant envie d’embrasser cette profession. Entre dévouement et désarroi, défendant aux côtés de Philippe Lemaire et Thierry Levy, les sieurs Buffet et Bontemps, témoins impuissants que vous fûtes à l’aube, dans la cour de la prison de la Santé, de leur exécution. Combien de fois sommes-nous seul(e) contre tous ! Une dame vint me voir lors d’une audience correctionnelle, j’étais jeune avocate, pour me demander comment je pouvais me regarder dans le miroir le matin. L’avocat et son client, même combat.
Nous finissons par être aguerris. Solitude de l’avocat qui reste le dernier rempart de son client quand les regards se tournent, quand les rats quittent le navire ! Et les doutes qui nous assaillent et le trac de l’audience. Mais il faut se retrousser les manches et y aller bec et ongles. C’est là notre mission coûte que coûte dès lors que nous acceptons de défendre.
Et avouons-le, plus c’est difficile et plus cela nous motive. Plus on nous déteste, plus on se délecte. Car l’avocat est provocateur. C’est même ce qui l’anime, l’art de la contradiction, de la querelle, tour à tour fleuret moucheté et tonitruant. Et forcément masochiste quelque peu.
Volée de bois vert pour le tournage des « Volets verts », ce film au cœur de ce procès pénal. Un nom qui prédisait une ambiance, une nouvelle ère. Cela aussi serait fini ? Ce lieu restant de liberté pleine et entière, le prétoire, serait-il mis en danger ? Ce lieu où l’avocat laisse libre cours à sa diatribe, son argumentaire, sa dialectique, sa répartie, sous la houlette du président de chambre, rappelons-le, qui tient normalement la police de l’audience en cas de dérapage, deviendrait un énième no man’s land, sans mauvais jeu de mot, placé sous très haute surveillance. C’en est fini de notre arrogance, de notre bravade, de nos colères dans un seul but : défendre notre client. Cela m’inquiète.
Nombreux confrères sont tourmentés par cette inédite tournure. Tout le monde devrait être sceptique, pas uniquement les avocats. Car tout un chacun peut avoir à faire à la justice un jour. Or un pays qui muselle ses avocats n’est plus un pays libre.
La France serait-elle en passe de devenir un pays en liberté surveillée ? Chasse aux sorcières, commission aux relents maccarthystes, formations abracadabrantesques tous azimuts, messes basses, chantages, menaces , chuchotements, cris…
Je suis attachée aux libertés publiques et elles sont entachées par cette vague tellement dévastatrice qu’elle submerge même l’esprit des juges. Gérard Depardieu a déclaré par la voix de son avocat qu’il interjetait appel de cette décision du Tribunal correctionnel rendue le 13 mai 2025. Il est donc présumé innocent.
J’espère que les juges de la Cour d’appel sauront se rappeler l’importance des droits de la défense, au-delà de nos combats, de nos idéaux, de nos points de vue, de nos implications, de nos choix. Peu importe la stratégie de l’avocat qu’elle soit de complaisance ou de rupture.
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Florence Rouas