Depuis le début du second mandat de Donald Trump, le 20 janvier dernier, la forte volatilité enregistrée sur les marchés mondiaux sème le trouble chez les investisseurs. L’exceptionnalisme américain est mis en doute comme il ne l’a jamais été au cours de la décennie passée. Le marché américain n’est plus perçu comme un sanctuaire de prospérité et le dollar n’apparaît plus comme la devise refuge par excellence. Nous vivons assurément un tournant. Après plusieurs années pendant lesquelles les grandes valeurs technologiques américaines (« les Sept Magnifiques ») ont attiré des flux considérables, l’incertitude actuelle concernant la politique tarifaire américaine et la faiblesse du dollar devraient dans ce contexte profiter aux entreprises des pays émergents, en particulier celles qui réalisent une part substantielle de leur activité sur leur marché domestique.
Que constate-t-on en matière de valorisation ? L’indice MSCI Emerging Markets se négocie toujours avec une décote d’environ 30% par rapport au MSCI World Index. Un déficit de valorisation importante et qui apparaît aujourd’hui peu justifié. Surtout, l’allocation globale des investisseurs mondiaux sur cette classe d’actifs ne représente que 6% de leurs encours, ce qui laisse une forte marge de progression. Or, cette perception pourrait changer au cours des prochains mois/années alors que l’attractivité des grands pays émergents s’est renforcée au cours des derniers mois à mesure que le dollar s’affaiblissait.
Chine : une allocation substantielle pour les nouveau-nés
Tout d’abord, le changement de perception des investisseurs vis-à-vis de la Chine évolue rapidement. En janvier 2025, le lancement par la startup chinoise DeepSeek de la première version de son modèle d’AI a été vu comme un tournant et prouvé que le géant asiatique était en mesure de concurrencer les Etats-Unis sur leur propre terrain d’excellence. Une aubaine susceptible de redonner confiance à des ménages atones et attentistes dans un pays dont l’économie est malmenée depuis la crise sanitaire de 2020-2021. Par ailleurs, Xi Jinping semble davantage résolu à soutenir la consommation intérieure et l’activité des entreprises privées. À plus long terme, des mesures spécifiques ont également été prises pour tenter de remédier à la crise démographique dans un pays où la politique de l’enfant unique a fini par entraîner un vieillissement préoccupant de la population. L’allocation distribuée aux familles lors de la naissance d’un enfant peut ainsi atteindre 1 500 euros dans certaines villes.
En Inde, les réformes structurelles entreprises par le gouvernement de Narendra Modi depuis 2014 ont rendu le pays plus compétitif et dessinent une nouvelle trajectoire de croissance, estimée autour de 6-7%, pour les prochaines années, justifiant largement les niveaux de valorisation élevés du marché indien. Les secteurs immobiliers et bancaires ont été en particulier considérablement assainis. Après les baisses d’impôts sur les entreprises mises en place à partir de 2019, l’annonce cette année de l’allègement de la pression fiscale pour les foyers modestes devrait contribuer à soutenir la consommation des ménages.
D’autres pays composant le MSCI Emerging Markets offrent également de belles opportunités de croissance notamment en Europe de l’Est (dynamisme de l’économie polonaise) et en Asie où le boom des investissements dans l’intelligence artificielle (IA) profite également, en dehors de la Chine, à la Corée du Sud et à Taïwan, ce dernier gardant une avance technologique incontestable dans l’industrie des semi-conducteurs (TSMC).
Plus globalement, les marchés émergents offrent des poches de croissance structurelles : la technologie (positions avantageuses dans l’IA, Cloud, SaaS, robotique, etc.), la thématique de la durabilité (véhicules électriques, énergies renouvelables, transformation des réseaux, etc.), la santé, les valeurs de consommation (e-commerce, agences de voyage etc.) qui bénéficient de l’essor des classes moyennes ou encore le secteur financier profitant de l’inclusion financière en hausse dans les pays émergents avec des taux de bancarisation encore peu élevés dans certains pays (Inde, Indonésie, etc.) mais en croissance.
(*) Pierre-Henri Cloarec est le gérant responsable du fonds Nordea 1 – Emerging Stars Equity Fund. Il a débuté sa carrière comme analyste financier chez BNP Paribas à Londres, où il couvrait l’Europe de l’Est et l’Amérique latine. En 2014, il rejoint le fonds de pension de British Petroleum en tant que gérant de portefeuille pour le fonds Global Emerging Markets. Il intègre Nordea en 2021 en tant que co-gérant du fonds Nordea 1 – Emerging Stars Equity Fund, avant d’en prendre la responsabilité. Il est diplômé d’un Master en Management de NEOMA Business School (France, 2007), titulaire du CFA® charter et de la certification ESG délivrée par le CFA Institute.
Pierre-Henri Cloarec