Le 24 février, le président Macron s’est rendu à Washington pour rencontrer Donald Trump, alors que le président américain a initié des négociations directes avec le président russe en vue d’un accord de paix sur l’Ukraine. Ces discussions, révélées par Trump lui-même dans un message sur le réseau Truth Social, marquent un tournant diplomatique : il y présente l’échange avec le président français, comme une étape préparatoire au sommet du G7 à l’occasion du 3e anniversaire de la guerre russe en Ukraine, et insiste sur la nécessité d’un accord sur les minéraux et les terres rares entre les États-Unis et l’Ukraine. Selon lui, ce partenariat économique leur permettrait de récupérer les milliards de dollars investis dans l’aide militaire en Ukraine. Dans la dernière partie de son message, il confirme être en discussion sérieuse avec le président Poutine pour mettre fin à la guerre, tout en évoquant de futures grandes transactions de développement économique entre les deux pays. Cela laisse présager une approche de diplomatie transactionnelle du conflit, ou la paix serait négociée dans les intérêts de Washington et Moscou sans garantir une solution juste et durable pour l’Ukraine et la stabilité européenne. Ce déplacement s’inscrit dans la continuité des efforts diplomatiques du président Macron. Depuis le début de la guerre, il a maintenu un dialogue constant avec Zelensky, Poutine et Trump, positionnant la France comme un acteur clé dans la recherche d’une paix durable.
La paix et le multilatéralisme figurent parmi les piliers de l’Agenda mondial 2030, le climat et l’intelligence artificielle sont, eux, les priorités de l’agenda 2025, tels que définis par l’Organisation des Nations Unies. Dans un monde de plus en plus fragmenté, où la globalisation ralentit et où les tensions géopolitiques se multiplient, ces principes se trouvent mis à l’épreuve. Les tensions croissantes entre grandes puissances, la persistance des conflits armés et la multiplication des crises économiques et climatiques montrent que l’ordre mondial est en mutation.
Mi-février, lors du sommet annuel du « soft power » à Londres, j’ai eu l’opportunité d’échanger avec le Commissaire des Nations-Unies Expo 2025, et Directeur de la Division sensibilisation du public, M. Maher Nasser sur la manière dont les institutions internationales, dont l’ONU, aident les États à structurer leur stratégie de « soft power » pour maintenir une influence internationale. M. Nasser a souligné que maintenir l’influence internationale est un défi, car les États membres, les populations du monde et les entreprises sont plus interconnectés que jamais. Concernant le rôle de l’ONU, il rappelle que le système des Nations-Unies aujourd’hui évolue dans un monde totalement différent de celui d’il y a 80 ans. Les États membres ont évoqué la nécessité d’adapter l’organisation aux nouvelles réalités, mais les principes fondamentaux de l’ONU restent les mêmes : l’importance du multilatéralisme, du travail en commun, et des accords conclus entre les États membres pour résoudre les conflits de manière pacifique. Il a ajouté « Aucun État ne peut, à lui seul, gérer les défis mondiaux, qu’il s’agisse du changement climatique, des pandémies, du terrorisme ou du crime organisé transnational, sans coopération. » M. Nasser affirme qu’historiquement, tous les États ont reconnu que lorsqu’ils collaborent et travaillent ensemble, ils parviennent à relever les défis.
Dans ce contexte de fragmentation mondiale, une tendance se dessine : les pays renforçant leur « soft power » (puissance non-coercitive) ne sont plus uniquement ceux dominant sur le plan économique ou militaire, mais ceux se positionnant comme des acteurs clés dans la résolution des grandes crises mondiales. Le « soft power », autrefois centré sur les atouts propres d’un État, doit aujourd’hui s’inscrire dans une dynamique plus large : celle des objectifs mondiaux.
L’édition 2025 du Global Soft Power Index illustre cette transformation. Les États qui connaissent une progression notable dans le classement de « soft power » sont ceux qui ont su articuler leur influence autour de leur engagement sur des thématiques clés de l’agenda mondial, telles que la transition énergétique, l’intelligence artificielle ou la gestion des crises internationales. Les Émirats arabes unis, qui se maintiennent dans le top 10 du classement, après un gain de 7 places, illustrent parfaitement cette stratégie. Ils ont renforcé leur rôle international en organisant la COP28, en devenant un hub d’investissement dans les énergies renouvelables et en multipliant les initiatives en matière d’innovation et d’aide humanitaire. La Chine qui a gagné 3 places depuis 2020, se positionne désormais à la deuxième place mondiale derrière les États-Unis. Cette progression s’explique par un renforcement de ses relations internationales et par un positionnement sur le Climat, avec des investissements majeurs dans les infrastructures vertes et la transition énergétique. La France maintient sa 6e place mondiale, en renforçant son pilier relations internationales, en combinant une stratégie de diplomatie active, un rôle de médiateur dans la résolution des conflits et un rayonnement international accru. L’organisation des Jeux Olympiques de Paris2024, la réouverture de Notre-Dame, ainsi que la continuité des Accords de Paris ont consolidé son « soft power » et son rôle de leader en gouvernance mondiale.
À l’inverse, les pays qui reculent dans le classement sont entre autres ceux qui se désengagent des grandes priorités mondiales. L’exemple du Royaume-Uni, dépassé par la Chine, recule à la 3e place. Son influence diminue en raison d’un affaiblissement diplomatique post-Brexit et d’un désengagement progressif des grandes négociations climatiques et internationales. Le Brésil subit un recul marqué depuis 2022, de 3 rangs, sous la présidence de Jair Bolsonaro. Sa mauvaise position sur les piliers du climat, de la gouvernance et des relations internationales continue de peser son image, malgré les efforts de redressement entrepris sous la présidence de Lula.
Plusieurs études viennent corroborer ces corrélations. Le chercheur Pierre Blanc, dans Géopolitique et Climat, montre que les stratégies environnementales renforcent l’influence diplomatique des États en orientant les normes internationales. La géopolitologue Camille Roussac dans son étude souligne que les nations leaders de la transition écologique gagnent en légitimité et en capacité d’influence, tandis que celles qui se désengagent voient leur « soft power » s’éroder. Ces analyses montrent que l’influence d’un pays dépasse désormais le cadre d’action unilatérale.
Le multilatéralisme devient un levier central du « soft power », mais cette dynamique d’influence ne repose pas uniquement sur la coopération. Elle se manifeste aussi dans la manière dont les États façonnent leur image à travers de grandes plateformes internationales. À la question, quels sont les nouveaux leviers d’influence que les États doivent activer pour rester des acteurs centraux en matière de coopération et de gouvernance globale. M. Nasser précise « Avec l’introduction des enjeux climatiques, les Expositions universelles ne concernent plus uniquement la technologie, elles sont aussi un espace de connexion culturelle et de progrès des convictions sociales. »
Cette évolution illustre comment les États cherchent à aligner leur vision avec les défis contemporains, consolidant ainsi leur attractivité et leur « soft power » sur la scène internationale.
Dans cette nouvelle architecture du « soft power », un défi émerge : la frontière entre influence et puissance légitime et dépendance imposée. Si certains États se positionnent comme des contributeurs de solutions aux crises mondiales, d’autres transforment l’attractivité en levier d’assujettissement. Récemment, DeepSeek, l’IA chinoise open source, pourrait en être l’illustration : sous couvert de démocratisation de l’IA, son déploiement pourrait structurer une dépendance aux écosystèmes chinois. À l’instar, la diplomatie transactionnelle, incarnée par Donald Trump, déséquilibre les rapports, en subordonnant les alliances de paix à des calculs économiques immédiats. Dans ce contexte, le « soft power » repose davantage sur sa capacité à façonner les interdépendances mondiales. Ceux qui maîtrisent ces dynamiques deviennent des architectes du nouvel ordre international.
Véronique Chabourine