AFP or licensors
Saisir l’occasion
Publié le
Sous couvert d’une « économie de guerre », nécessaire pour réarmer le pays face à la menace russe, représentants patronaux et éditorialistes libéraux appellent à nous faire travailler plus, réduire les dépenses sociales ou partir à la retraite plus tard, plutôt que de miser sur l’emprunt ou la réquisition des avoirs russes. Si des efforts de guerre sont nécessaires, cette cabale semble surtout motivée par l’opportunité de mettre en œuvre leurs lubies pro-business.
L’occasion fait le larron, diront les libéraux. En tout cas, elle est trop belle pour la laisser passer. S’il faut évidemment trouver des moyens de financement pour réarmer le pays et l’Europe en vue du désengagement américain – c’est-à-dire l’abandon de l’Ukraine et du Vieux Continent – certains sautent sur l’occasion pour pousser leur agenda libéral et leur objectif permanent de casse sociale. Économistes et éditorialistes ne balayent pas d’un revers de la main le recours à la dette, à l’emprunt forcé, ou à la réquisition des avoirs russes gelés, mais ils soulignent surtout une possibilité : baisser la dépense publique, c’est-à-dire les dépenses sociales – retraites, aides au logement, droits au chômage… Petit tour d’horizon d’une bataille rangée.
Bouzou partout
Ce n’est pas le moins bourrin qui a ouvert le bal. Le samedi 1er mars, au lendemain de l’altercation entre Donald Trump, J.D. Vance et Volodymyr Zelensky, il passe la première avec un message sur X appelant à « augmenter le temps de travail, partir en retraite plus tard, simplifier radicalement la vie des entreprises, libérer l’innovation ». Évidemment, toutes ces propositions pro-patronat et anti-travailleurs ne lui sont pas apparues évidentes d’un coup de baguette magique. Il prêche pour sa paroisse libérale depuis toujours, mais cette fois, la justification est nouvelle. Il présente ses réformes favorites comme des « impératifs sécuritaires » face « au risque de guerre ». Comme c’est pratique.
À LIRE AUSSI : Missiles, drones, catapultes : ces équipements militaires pour lesquels la France est très dépendante des Américains
Il ne s’est évidemment pas arrêté là. Le 6 mars, au micro d’Yves Calvi sur RTL, il appuie là où ça fait du bien : « Il faut qu’on passe doucement de l’État-Providence à l’État protecteur. Concrètement : geler les dépenses sociales, pour trouver 6 à 10 milliards d’euros très rapidement, qu’on va réinjecter dans le budget de la défense. […] Les prestations sociales sont indexées sur l’inflation. Je pense qu’on peut, pendant deux ou trois ans, les désindexer. » Au moins, c’est clair, ce n’est pas aux riches de contribuer à l’effort, mais à ceux qui ont besoin d’aides sociales, donc les plus précaires. Il a aussi appelé sur X le 3 mars à une « baisse de la fiscalité sur le capital et les entreprises », au cas où les caisses seraient trop pleines…
Seux qui s’aime
Il en est convaincu : il avait raison ! Et il le prouve ! En tout cas il le dit. Le très libéral éditorialiste phare du journal patronal Les Échos, qui a sa chronique économique sur France Inter n’est, lui non plus, pas connu pour prêcher des avancées sociales au profit des travailleurs. Le lundi 3 mars, sur le service public, il argumentait ceci : « Dépenser davantage pour notre défense exigera, c’est inévitable, des économies sur les autres dépenses publiques ! » Original ! Son « quoi qu’il en coûte » militaire implique surtout un coût social. Il prend notamment notre point faible aérien pour montrer le bien-fondé de son point de vue, qui rend responsable l’État-Providence de nos malheurs : « Éternel problème budgétaire français, depuis 1990, nous avons dirigé les dividendes de la paix vers le social, nous voilà rattrapés par notre angélisme. » Ce sont les mêmes critiques qui visaient injustement Léon Blum et le Front populaire, qui auraient, selon la droite de l’époque, désarmé la France…
À LIRE AUSSI : Uber, Aéroports de Paris : Nicolas Bouzou, un économiste qui joue au lobbyiste
Dernier soutien de la casse sociale, en lieu et place d’emprunts d’États ou d’emprunts aux Français volontaires, mais pas des moindres : Patrick Martin, président du Medef, le syndicat des patrons. Invité d’Apolline de Malherbe sur RMC le mardi 4 mars, celui-ci a présenté un exemple tout à fait éloquent : « Le Danemark a décidé de reporter à 70 ans l’âge de départ à la retraite pour que l’économie sache financer un effort de guerre. Je ne suis pas en train de vous dire qu’il faut porter à 70 ans l’âge légal du départ en retraite en France, mais ça veut dire qu’il y a un consensus dans le pays, une conscience partagée que, cette situation très grave nécessite des moyens exceptionnels. » Encore une idée lancée. Bien sûr, il ne « faut » pas le faire, mais enfin, c’est une possibilité…
Nos abonnés aiment
Plus d’Economie
Votre abonnement nous engage
En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.
Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne