Mars 2024. À l’unanimité des députés, la proposition de loi visant à lutter contre la fast fashion est adoptée, suscitant une vague d’enthousiasme chez les entrepreneurs du « made in France », de la mode éthique, des associations environnementales, mais aussi des citoyens adeptes d’une consommation plus raisonnée de vêtements.
Quelques mois après, en décembre 2024, le gouvernement de Michel Barnier tombe, suspendant le chemin législatif de la proposition de loi. Après avoir passé plusieurs mois dans les placards, puis modifiée par la commission Développement durable de la chambre haute, et le gouvernement, la mouture est de nouveau examinée par le Sénat à partir ce lundi soir et mardi.
Mais les défenseurs d’une loi exigeante sur le plan environnemental ne reconnaissent plus le texte initial et redoute que sa nouvelle version rate l’objectif principal : lutter efficacement contre les dérives des géants de la « mode éphémère » et « ultra-éphémère ».
Discorde autour du montant des sanctions financières
Pour les partisans d’un texte exigeant, c’est la clé de voûte de cette future loi : les pénalités financières infligées aux marques de prêt-à-porter les moins vertueuses sur le plan environnemental. Mais mercredi dernier, un amendement du gouvernement est venu changer la modalité de ces sanctions. Celui-ci a ainsi supprimé le principe de « pénalité progressive », selon un barème démarrant à 5 euros par produit en 2025, pour monter à 6 euros en 2026, puis 10 euros en 2030.
À la place, l’exécutif préfère que ce « malus écologique » soit fixé par décret. Une « flexibilité » qui selon l’entourage de la ministre de la Transition écologique permettra de s’adapter à la fluctuation des prix, évolutifs selon la conjoncture, et in fine, de mieux pénaliser les géants de l’ultra fast fashion.
Cette idée ne satisfait pas du tout la coalition Stop Fast Fashion, qui rassemble 14 associations environnementales. Le collectif redoute que la loi ne devienne « une coquille vide, sans portée dissuasive ». « Ces pénalités progressives étaient un moyen efficace de freiner les grands acteurs de l’ultra fast fashion. Sans celles-ci, on passe à côté », confiait à La Tribune vendredi dernier, Julia Faure, coprésidente du Mouvement Impact France et cofondatrice de la marque de mode éthique Loom.
Les motifs de déclenchement des sanctions aussi en débat
Autre disposition soutenue par l’exécutif qui fait débat : ce « malus écologique » ne serait plus déclenché par « l’éco-score environnemental », bien prévu par la loi, mais par une analyse de la « durabilité des pratiques commerciales des producteurs, mesurée sur la probabilité qu’un produit devienne un déchet ». En pratique, cette modalité induirait des contrôles sur la largeur de gamme, soit le nombre de références de vêtements proposés par l’entreprise de prêt-à-porter. Et ce, dans un laps de temps très court. Sont encore une fois visés ici surtout les géants de l’ultra fast fashion.
Mais pour la plupart des ONG qui suivent le sujet, « l’éco-score environnemental », négocié auprès de Bruxelles par le gouvernement lui-même, est une mesure plus efficace pour attribuer les sanctions financières. En outre, sur ce point, une divergence demeure entre l’Assemblée nationale et le Sénat : les députés souhaitent, eux, en effet lier ces pénalités à « l’éco-score ».
Recentrer la loi sur des géants comme Shein, une « erreur » selon les ONG
Cibler davantage les dérives de la mode « ultra éphémère », dont l’entreprise Shein est le premier symbole, est aujourd’hui plus clairement assumé par le gouvernement. « Ce sont ces acteurs-là qui à court terme posent le plus de problèmes en matière écologique », répond, en effet, l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher. « Il faut les viser en priorité, c’est le plus urgent ».
Mais pour Julia Faure, cette orientation est « un recul » par rapport à la mouture initiale qui visait toutes les entreprises de la fast fashion, notamment française à l’instar de Kiabi, Decathlon ou La Halle. Ou européenne, comme H&M, Primark, ou encore le groupe Inditex (Zara, Massimo Dutti, Bershka, Stradivarius, etc). « Ces marques produisent depuis longtemps des vêtements à bas coûts, et en grande quantité à l’étranger, notamment en Chine », rappelait Julia Faure quelques jours plus tôt. « Si on ne les cible pas aussi, on passe à côté du problème de la mode jetable et de l’objectif de cette loi ».
Lors d’un déplacement ce lundi dans le Rhône, la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher a tenté de répondre à cette critique en défendant une « loi très courageuse », la « première en ce sens » en Europe, mais qui ne pourra pas « tout résoudre ».
Une des industries les plus polluantes du monde
Pour rappel, l’industrie du textile est sur le podium des plus polluantes. Selon l’Agence européenne de l’environnement, elle émet 4 milliards de tonnes de CO2 par an. Selon l’Ademe, cela représente 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Soit davantage que les émissions de l’aérien et du maritime additionnées. En outre, la quantité de vêtement acheté a explosé depuis le début des années 2000. Selon l’Agence européenne pour l’environnement, elle a bondi, dans l’UE, de 40 % entre 1996 et 2012. Au niveau mondial, leur production a doublé entre 2000 et 2014.
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