Après des menaces sur les lignes de productions automobiles américaines, c’est l’Europe qui pourrait être la victime des restrictions chinoises sur les terres rares. L’Association européenne des fournisseurs automobiles (Clepa) annonce que des usines ont déjà arrêté certaines productions sur le sol européen. Hier, 4 juin, c’est BMW qui a annoncé que certaines de ses fournisseurs étaient affectées par les problèmes de matières premières.
Des licences en faible quantité
L’origine du problème est à chercher en Chine, premier exportateur mondial de terres rares. Début avril, Pékin a exigé des entreprises chinoises qu’elles détiennent une licence d’exportation afin de pouvoir commercialiser leurs matières premières à l’étranger. Problème : ces précieux sésames semblent distribués au compte-goutte et le système d’obtention est particulièrement complexe et nécessite aux clients étrangers de justifier leur demande.
« Les procédures semblent varier en fonction des provinces et dans plusieurs cas, des informations sensibles sur la propriété intellectuelle ont été requises », explique le Clepa. Selon cette même association européenne, sur les centaines de demandes de licences d’exportation déposées depuis début avril par les équipementiers, un quart seulement a été accordé. Cette restriction aurait dû être infléchie en raison du cycle de négociation commerciale sino-américain entamé à Genève début mai, mais Pékin n’a pas tenu promesse. En fin de semaine dernière, Donald Trump a accusé la Chine de violer l’accord.
« Notre hypothèse actuelle est que la Chine maintiendra son mécanisme de contrôle des exportations de terres rares, car il s’agit d’un atout majeur pour elle », a déclaré à Reuters Tim Zhang, fondateur d’Edge Research.
Négociations en cours
À Chicago, Ford a interrompu la production de son SUV Explorer pendant une semaine en mai en raison du manque de terres rares. Si les entreprises américaines ont été les premières touchées et les premières à réagir le 9 mai dernier dans une lettre à l’administration Trump, la tension est montée d’un cran ces derniers jours en Europe.
« L’industrie automobile, a besoin d’aimants de terres rares pour tout, des moteurs d’essuie-glace aux capteurs de freinage. On pourrait avoir du mal à maintenir la production en bon état »
L’inquiétude a obligé de nombreuses entreprises à rassurer les investisseurs sur leurs chaines d’approvisionnement. Ainsi, l’allemand Thyssenkrup assurait hier avoir « pris très tôt des mesures pour diversifier nos chaînes d’approvisionnement et renforcer la sécurité d’approvisionnement pour ces matières premières spéciales ». Les licences étant distribuées au compte-goutte et les alternatives à la Chine étant rares, les entreprises se livrent une bataille pour l’approvisionnement, afin d’éviter la pénurie.
Hier, le commissaire européen au Commerce, Maroš Šefčovič, a déclaré qu’il faisait pression sur le ministre chinois du Commerce, Wang Wentao. Selon le Financial Times, des négociations sont en cours et les entreprises européennes, constituées en lobby, demandent à Pékin d’ouvrir un canal spécial afin de continuer à importer. La proposition a été faite « lors d’une réunion entre des entreprises européennes et des responsables du ministère chinois du Commerce », rapporte le média britannique qui indique également que le canal spécial comporterait une liste blanche d’entreprises européennes avec qui la Chine accepterait de commercer des terres rares. Ces dernières n’auraient pas à demander de licence à transaction.
Peu d’alternatives
Si certains envisagent de délocaliser leur production en Chine afin de se rapprocher de la matière première et éviter le verrou de Pékin, d’autres cherchent à sourcer la matière première ailleurs. Ainsi, l’australien Lynas Rare Earths, plus grand producteur de terres rares en dehors de Chine, a vu son action en bourse grimper de près de 12% hier. L’entreprise exploite la mine de Mount Weld (Australie) depuis 2011, et a signé il y a 3 jours un accord avec la Malaisie pour exploiter les ressources du pays. Lynas y a déjà une usine de traitement, approvisionnée par les terres rares de Mount Weld.
Le traitement des terres rares est un procédé particulièrement complexe dans lequel le savoir-faire chinois est en avance. Pour preuve, la Chine est le seul pays au monde qui contrôle l’ensemble d’une chaine de conception : extraction, traitement, séparation des terres rares, raffinage et création d’aimants permanents. En 2019, le pays assurait 92 % de la production de ces aimants.
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Julien Gouesmat