Il fallait s’y attendre. La sévère crise viticole qui secoue la région Occitanie se fait également sentir sur le marché du foncier viticole. Les chiffres publiés le 4 juin par la Safer Occitanie en témoignent. Alors que le marché foncier viticole avait déjà reculé de 25 % en 2023 à 105 millions d’euros, la chute est encore plus vertigineuse en 2024 avec une baisse de près de 50 % qui ramène l’activité à 54 millions d’euros alors que les surfaces échangés (5 739 hectares) ne reculent que de 2,6 %.
« Les surfaces échangées ne chutent que faiblement grâce aux échanges de parcelles pour des restructuration de vignobles, mais nous n’avons quasiment plus de vente de domaines car la demande n’est plus là, et il en résulte un effondrement des prix qui diminuent de moitié », analyse Thomas Roumagnac, directeur opérationnel de la Safer Occitanie.
Et les perspectives sur les prochaines années ne paraissent pas plus réjouissantes. Selon Frédéric André, directeur général de la Safer Occitanie, « nous constatons une très forte demande d’estimations de biens, ce qui semble indiquer que beaucoup de vignerons préparent leur départ. L’augmentation des biens à la vente confirme cette tendance. Mais il s’agit surtout de biens de village, avec un parcellaire morcelé, qui trouvent difficilement preneur, car la demande, quand elle existe, concerne plutôt des domaines constitués ».
« Ce n’est plus une crise, c’est une mutation »
Tout juste renouvelé, pour la troisième fois consécutive, à la présidence de la Safer Occitanie, Dominique Granier, qui est par ailleurs vigneron depuis 38 ans dans le Sommiérois (Gard), ne cache son désarroi face à cet effondrement des prix du foncier viticole : « Ce sont des chiffres difficiles à avaler. Nous avions déjà le foncier le moins cher d’Europe. Il est encore trop cher par rapport à ce qu’il rapporte. Des crises, j’en ai connu, mais aujourd’hui, ce que nous vivons dépasse de loin tout ce que nous avons traversé. Ce n’est plus une crise, c’est une mutation. J’interpelle le monde viticole. Il va falloir collectivement être créatifs, se projeter, imaginer ce qui n’existe pas encore. Aujourd’hui, c’est l’adaptation qui doit primer ».
La question de la reconversion du vignoble est clairement posée. 17 600 hectares de vignes ont été arrachés cette année dans le cadre de la dernière campagne d’aide à l’arrachage. La tentative de pilotage de cet arrachage pour préserver les parcelles les plus qualitatives, initiée par le président de l’IGP pays d’Oc Jacques Gravegeal, n’a pas fonctionné, a reconnu Dominique Granier.
« Nous avions la volonté de gérer intelligemment cet arrachage, souligne-t-il. Mais tout est allé trop vite et nous n’avons pas eu le temps de mettre en place le dispositif permettant des substitutions de parcelles. Je le regrette car il s’est arraché des parcelles de blanc alors que le marché demande cette couleur. »
100 000 hectares de friches
Grâce à un partenariat avec le CNES, la Safer Occitanie est la première région française qui a pu réaliser un inventaire complet des terres en friche. Le CNES a travaillé sur l’interprétation d’images satellites avec l’aide de l’intelligence artificielle. Il en ressort une surface de 100 000 hectares de terres en friche en Occitanie. « On ne sait pas encore évaluer la part des friches viticoles mais on y travaille », précise Frédéric André.
« Quoi qu’il en soit, ce chiffre interpelle, estime Dominique Granier. 100 000 hectares en friche, c’est énorme. C’est un potentiel immense pour la souveraineté alimentaire et l’accès au foncier. »
Autre cheval de bataille de la Safer Occitanie, faciliter l’accès au foncier pour les jeunes agriculteurs : « Demain, les exploitants ne seront pas forcément propriétaires. Il faut alléger les coûts d’installation si on veut que les jeunes s’installent. Le portage du foncier dans les premières années est une des solutions », soutient le président. C’est dans cet objectif qu’a été créé, en 2019, un fonds d’aide à l’installation des jeunes qui, en quatre ans, a bénéficié à 333 jeunes pour un montant total de 650 000 euros.
A l’exception du marché des maisons à la campagne, qui est en légère hausse, la Safer Occitanie enregistre en 2024 une contraction de son activité sur tous ses autres marchés : terres et prés, forêts, espaces résidentiels et de loisirs non bâtis, urbanisation. Elle clôture l’année 2024 avec une activité de 222 millions d’euros en recul de 18,7 % par rapport à 2023 et accuse son premier déficit depuis sa création.