Le 15 mai 1985, l’amiral Pierre Lacoste, chef de la DGSE, les services secrets, est reçu par le président François Mitterrand. Ce dernier lui donne son accord pour détruire le bateau de Greenpeace Rainbow Warrior. Il faut empêcher cette association de menacer les essais nucléaires français. Cette confirmation est obtenue dans le dos du ministre de la Défense Charles Hernu, par ailleurs déjà impliqué dans la supervision de de l’opération. S’ouvre un des épisodes les plus absurdes de l’histoire contemporaine.
Hervé Gattegno a repris le dossier, rencontré les protagonistes encore vivants, fouillé les archives confidentielles. En bon journaliste, il avait déjà au cours de sa carrière rencontré l’amiral Lacoste et, d’une certaine manière, ce livre rend hommage à ce serviteur de l’État qui a gardé le silence pour protéger ses subordonnés, et peut-être aussi le président de la République, décideur ultime de cette opération baptisée « Satanic ». Satanic, le nom d’un fiasco : placer deux bombes sous la coque du Rainbow Warrior, ancré dans le port d’Auckland, en Nouvelle-Zélande.
Enquête policière pleine d’humour, le livre d’Hervé Gattegno montre que tout est allé de travers dans cette opération. L’attentat ne devait pas faire de victime. Pourtant, après les explosions, on découvre le corps d’un malheureux photographe dans une cabine. Les équipes des services secrets devaient être furtives mais, très vite, un couple français sous la fausse identité de M. et Mme Turenge est arrêté.
Il s’agit du commandant Alain Mafart et de la capitaine Dominique Prieur, deux membres de la DGSE. Puis la police d’Auckland identifie une équipe en repérage sur un voilier. Ils étaient trop voyants, tout comme une Française infiltrée dans Greenpeace.
Fusibles
Et bientôt la presse s’en mêle. Ses révélations menacent le président et le gouvernement de Laurent Fabius. Qui était au courant ? Et que faire pour échapper à la vindicte électorale, car les élections législatives de 1986 approchent ? Mitterrand tente de cacher son implication et celle de son ami Hernu en commandant un rapport au haut fonctionnaire Bernard Tricot. Celui-ci exonère tout le monde, au point d’affirmer que la DGSE n’était pas impliquée.
Mais la presse et la police s’acharnent. Il faut des fusibles : Charles Hernu et l’amiral Lacoste doivent démissionner. Leur version n’a pas tenu quand a été révélée l’existence d’une troisième équipe, celle des poseurs de bombe.
En suivant le récit, des eaux troubles du port d’Auckland à l’atoll d’Hao en passant par l’Élysée et Matignon, où la cour socialiste se livre à ses batailles d’ego, le lecteur est sidéré de voir comment nos meilleurs agents se sont piégés tout seuls, et comment les politiques les ont lâchés. Reviennent à l’esprit les phrases de Marc Bloch dans L’Étrange Défaite critiquant des chefs qui, lors de la défaite de 1940, ont joui d’une totale impunité malgré leurs faiblesses et leurs erreurs.
Fabrice d’Almeida