Ces dernières semaines, dans les Alpes, les Pyrénées, mais aussi dans le Massif Central, les animaux prennent la direction des estives, ces pâturages d’été en montagne. Pratiquée depuis des siècles, cette activité pastorale concerne aujourd’hui encore 18 % des élevages en France (35.000 élevages pastoraux) et 22 % du cheptel. Sur les quatre départements auvergnats, 200.000 hectares de surface pastorale ont été recensés, soit en moyenne 36% de la surface agricole utile. Et face au dérèglement climatique, le pastoralisme a une carte à jouer.
« C’est un gage de sécurité pour l’avenir. Avec les sécheresses qui se multiplient, les éleveurs du Cantal situés en basse et moyenne altitude sont de plus en plus intéressés par le foncier en zone d’altitude afin de sécuriser l’autonomie fourragère de la ferme », explique Bruno Dufayet, éleveur de Salers à Mauriac, dans le Cantal.
C’est le cas de son exploitation, constituée à 100% de prairies, et très dépendante des aléas climatiques. Pour bénéficier d’un accès aux estives, indispensables pour l’alimentation animale, cet agriculteur vient d’adhérer à la Coptasa, groupement pastoral cantalien qui compte 190 éleveurs et 4.000 bovins. Un moyen d’accéder à du foncier à un prix abordable, sans la charge de l’investissement. La structure permet de mutualiser les coûts et de bénéficier des estives collectives. Tout est mis en commun.
« C’est une vraie opportunité aussi pour lever les freins à l’installation dans nos départements et motiver des jeunes. Plus ils auront accès à du foncier géré en coopérative d’estives, plus cela limite les barrières économiques », poursuit l’éleveur, également président de l’APRAMAC, Association pour la Promotion de l’Agriculture du Massif Central.
Car comme le montre un récent rapport sur le pastoralisme, mené par des députés, les coûts d’acquisition des terres peuvent apparaître « très élevés au regard de leur potentiel agronomique réel ». Dans la Cantal justement, les prix du foncier pastoral sont plus élevés qu’ailleurs en France, liés notamment à une dynamique d’installations. Mais après plusieurs années de hausse, ils commencent à se tasser.
« La pression sur le foncier est en train de s’inverser. Dans le Cantal ou le Puy-de-Dôme, certaines estives ne trouvent aujourd’hui pas preneurs », note Laurent Bouscarat, directeur d’Auvergne Estives, association qui regroupe les estives du territoire.
Et ce ne serait que le début. Avec le renouvellement des générations, l’offre est en train d’augmenter. 40 % des chefs d’exploitations du Cantal ont plus de 55 ans et partiront à la retraite dans moins de 10 ans. Beaucoup chercheront à céder leurs parcelles.
Aides de la Région AuRA en faveur du pastoralisme
Mais au-delà du prix des terres, d’autres problématiques subsistent comme le morcellement du foncier entre différents propriétaires, les difficultés d’accès ou le coût des investissements nécessaires. Face à la complexité de se lancer seul ou de gérer une estive, certains éleveurs préfèrent se réunir en collectif et partager les frais et l’organisation.
« L’an dernier, à Anglards-de-Salers, quatre éleveurs se sont, par exemple, regroupés en un collectif pastoral pour financer une pompe solaire et un château d’eau pour alimenter les bacs d’abreuvement de leurs animaux », illustre Laurent Bouscarat.
Le collectif permet aussi de faciliter l’exploitation de certaines surfaces abandonnées, comme celles concernées par la prédation. L’estive du Puy Mary, qui fédère six éleveurs ovins dans le Cantal, a été créé dans ce contexte-là il y a quatre ans.
« Face au loup, les éleveurs avaient deux options : soit délaisser les surfaces, soit se regrouper afin d’embaucher un berger et un aide-berger pour garder les troupeaux. Ensemble, ils ont investi dans une cabane pastorale et leurs brebis entretiennent, désormais, les 180 hectares qui étaient laissés à l’embroussaillement », rapporte l’expert.
Ces regroupements sont aussi boostés par les aides octroyées dans le cadre des plans pastoraux territoriaux, lancés par la Région Auvergne-Rhône-Alpes. La collectivité soutient, par exemple, à hauteur de 70 % les équipements et aménagements de mise en valeur des espaces pastoraux, réalisés en collectif (création de pistes d’accès au pâturage, aménagement de points d’eau, matériels de contention, installation de clôtures…). 3,6 millions d’euros seront ainsi déployés entre 2022 et 2027 sur le Parc des volcans, grâce à des financements de la Région, de l’Europe et des Départements du Cantal et du Puy-de-Dôme.
Reconquête des surfaces en friche
Afin de lutter contre la déprise agricole et développer le pastoralisme, Auvergne Estives réalise également un travail de repérage des surfaces plus ou mal exploitées, afin de recréer une dynamique.
« Plusieurs centaines d’hectares sont à reconquérir, notamment en Haute-Loire ou dans les Monts du Cantal. Certains parcelles pastorales ont été délaissées à cause de leurs handicaps naturels, comme des pentes prononcées ou une haute altitude. On fait le pari que collectivement ces surfaces peuvent avoir un intérêt », précise Laurent Bouscarat, également directeur de la Coptasa.
Cela passera par une réorganisation foncière de ces espaces en partenariat avec les collectivités et les Safer (société d’aménagement foncier et d’établissement rural). Le rapport parlementaire recommande d’ailleurs de donner davantage de moyens à ces sociétés, sous contrôle des ministères de l’Agriculture et des Finances, afin de protéger les terres agricoles pastorales.