“Là où je me terre” : du Chili au Québec, Caroline Dawson raconte une vie (heureuse) de transfuge

Marianne - News

https://resize.marianne.net/img/var/ceg2bXnxWK/asCEdNKJDZsqAWirK/asCEdNKJDZsqAWirK.jpg









“Là où je me terre” : du Chili au Québec, Caroline Dawson raconte une vie (heureuse) de transfuge





















Dans le français vivace du Québec, Caroline Dawson évoque les « mille et une jobines usantes et mal payées » de ses parents.
Editions du remue-menage / Chloe Charbonnier

On a lu

Par

Publié le

En 1986, à l’âge de 7 ans, Caroline Dawson fuit le Chili de Pinochet avec ses parents et ses deux frères « dans un grand Boeing bleu de mer ». Du pays natal, elle ne conservera que des « souvenirs brouillard ». Cap vers le nord : la « petite Latina » débarque à Montréal où elle découvre du même coup la neige, les ondes de Radio-Québec et l’exil.

Près de quarante ans après les faits, devenue sociologue dans la capitale de la Belle Province, elle se souvient et raconte. Récit de transfuge, Là où je me terre (L’Olivier) se lit comme un passionnant roman de formation. Dans le français vivace du Québec, Caroline Dawson évoque les « mille et une jobines [petits boulots] usantes et mal payées » de ses parents.

Eux qui à Santiago exerçaient respectivement les métiers de professeur d’anglais et d’éducatrice pour jeunes enfants, les voici déclassés par l’immigration, qui font des ménages : « Ils ont torché partout. Des maisons de riches à l’Île-des-Sœurs, des appartements de luxe à Westmount, des hôtels cinq étoiles du centre-ville (….). Ils ont torché partout pour qu’on ait le luxe de s’ennuyer ».

Dawson rend rétrospectivement hommage aux sacrifices parentaux ainsi qu’aux services publics québécois. Car la petite réfugiée apprend le français dans la classe d’accueil d’une école primaire, où ses efforts se voient récompensés par de mémorables céréales au miel. Elle qui n’est jamais montée sur des skis sait désormais nommer les différents sports d’hiver.

À LIRE AUSSI : Patrick Chamoiseau : “La littérature ne peut pas ignorer les souffrances, les atteintes à l’humain et à la dignité”

Pour tout transfuge, les victoires ont souvent le goût amer de la trahison. Face aux « Julie par dizaines, minces, habillées de couleurs pâles, le sourire rose », l’écolière aux « tresses noires » se découvre « outrageusement enthousiaste, sonore, voyante ».

Portée par un désir éperdu d’« appartenance » et d’intégration, elle dompte son « exubérance » hispanique pour adopter la retenue nord-américaine : « je me suis fabriqué une enfance assourdie ». Elle renonce à sortir de sa « lunchbox » le toast à l’avocat écrasé et la tartine au dulce de leche confectionnés à la maison, qui n’ont pas l’heur de plaire aux camarades de classe : « On dirait de la marde » (sic), persiflent-ils. « Je n’aime plus ça », dit-elle à sa mère, « premier mensonge d’une longue série pour apprendre à devenir quelque chose comme une Québécoise ».

À LIRE AUSSI : Trente-deux après sa mort, l’écrivain libertaire Georges Navel se rappelle à nous

À lire Là où je me terre, il apparaît pourtant que la phase « caméléon » n’a eu qu’un temps. Talentueuse, Caroline Dawson s’est tôt approprié le français, sa poésie, sa grammaire et ses jeux ; dans sa langue d’adoption, elle cultive une « rage » qui donnent force et tenue au récit. Petite, elle ne se laisse pas impressionner par « les junkies et les putes du quartier » où ses parents ont trouvé un appartement.

Étudiante, elle cloue le bec à un réalisateur de renom qui s’est montré condescendant à son égard : « Va chier, man ! ». Vulgarité salutaire. Emportée par un cancer peu avant la publication du livre de ce côté-ci de l’Atlantique, cette femme vivait et écrivait avec la plus grande énergie. Une énergie communicative.

***

Là où je me terre, de Caroline Dawson, L’Olivier, 225 pages, 21 €.


Nos abonnés aiment

Plus de Culture

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne

0 0 votes
Article Rating
S’abonner
Notifier de
guest
0 Comments
Most Voted
Newest Oldest
Inline Feedbacks
View all comments

Welcome Back!

Login to your account below

Create New Account!

Fill the forms below to register

Retrieve your password

Please enter your username or email address to reset your password.

Add New Playlist

0
Would love your thoughts, please comment.x
Are you sure want to unlock this post?
Unlock left : 0
Are you sure want to cancel subscription?