Entre 2015 et 2025, l’industrie automobile mondiale a connu une croissance annuelle modeste de 0,3 %, avec des ventes passant de 88 à 91 millions de véhicules. Cette stagnation globale masque des tendances régionales divergentes. En Chine, par exemple, les ventes de véhicules électriques (VE) ont explosé, représentant 25 % du marché en 2025, contre seulement 5 % en 2015. Pendant ce temps, les marchés occidentaux ont lutté pour maintenir leur dynamisme, confrontés à des transitions réglementaires et technologiques complexes.
Alors que l’industrie entre dans une nouvelle phase, deux forces structurelles redéfinissent les priorités des constructeurs occidentaux : une régionalisation accélérée et l’adoption stratégique de l’intelligence artificielle. Ces dynamiques promettent de transformer profondément la chaîne de valeur automobile.
Un besoin de régionaliser renforcé par les tensions géopolitiques
La mondialisation qui a dominé le secteur automobile pendant des décennies cède peu à peu la place à des stratégies régionales. Les préférences des consommateurs diffèrent désormais considérablement d’une région à l’autre. En Europe, par exemple, les petites voitures électriques dominent, soutenues par des subventions gouvernementales et des réglementations strictes. À l’inverse, en Amérique du Nord, les SUV et les pick-ups continuent de représenter une part écrasante des ventes, atteignant plus de 70 % en 2025. En Asie, la demande se concentre davantage sur des véhicules compacts et connectés, en réponse à une urbanisation croissante et à l’essor d’une classe moyenne.
Les tensions géopolitiques et les politiques protectionnistes renforcent également cette tendance. Face aux incertitudes liées aux tarifs douaniers et aux restrictions commerciales, les constructeurs automobiles privilégient désormais des investissements locaux. Toyota, par exemple, a annoncé un plan d’investissement de 8 milliards de dollars aux États-Unis, visant à renforcer ses capacités de production de véhicules électriques dans la région. Parallèlement, la pandémie et les perturbations des chaînes d’approvisionnement ont révélé la fragilité des réseaux globaux, incitant les constructeurs à privilégier des approches régionales pour sécuriser leurs opérations.
L’IA modifie en profondeur la chaîne de valeur historique des constructeurs automobiles
Dans un contexte où les marchés automobiles se fragmentent, les constructeurs doivent répondre à des attentes locales variées tout en maintenant une efficacité globale. L’Intelligence artificielle s’impose alors comme un outil indispensable : elle transforme la chaîne de valeur automobile en profondeur, depuis la gestion des approvisionnements jusqu’à la personnalisation des produits et des services. Et permet ainsi d’améliorer une efficacité opérationnelle indispensable aux constructeurs automobiles.
Dans les chaînes d’approvisionnement, l’IA permet d’anticiper et de réagir avec agilité aux perturbations. Ford, par exemple, utilise des algorithmes pour réduire de 25 % les interruptions liées aux pénuries de semi-conducteurs, en identifiant et en réorientant les flux critiques en temps réel.
L’IA joue également un rôle central dans la personnalisation des ventes. General Motors, par exemple, s’appuie sur des données clients pour ajuster ses propositions commerciales. Hyundai a également exploité cette technologie pour concevoir des campagnes marketing ciblées, augmentant ses taux de conversion d’environ 15 % grâce à des offres adaptées, telles que des garanties prolongées pour les batteries électriques.
Aspect à ne pas négliger, l’IA permet enfin de prendre en compte les exigences environnementales. Un exemple notable est celui de Tesla, qui intègre des processus adaptables de fabrication. En Chine, l’entreprise a identifié l’intérêt, puis conçu des modèles spécifiques avec des fonctionnalités personnalisées, telles que des filtres HEPA pour faire face à la pollution atmosphérique. Parallèlement, en Europe, ses offres mettent l’accent sur les améliorations en matière d’efficacité énergétique pour satisfaire les attentes écologiques des consommateurs et les réglementations locales.
Vers un avenir agile et sur-mesure
L’industrie automobile est à un carrefour déterminant. La fragmentation des marchés, les logiques protectionnistes, et l’IA imposent une réinvention des modèles économiques pour répondre aux attentes d’une clientèle de plus en plus diversifiée. Les constructeurs qui investiront intelligemment dans leurs données, et des systèmes de gestion de données robustes et unifiés, tout en adaptant leurs offres aux spécificités régionales, sauront capter la valeur créée par ces transformations. La régionalisation et l’intelligence artificielle ne sont pas simplement des tendances passagères, mais des forces transformatrices.
(*) Titulaire d’un diplôme d’ingénieur en informatique, Mathieu Sabarly travaille depuis plus de 14 ans au sein du cabinet de conseil Wavestone, où il est actuellement associate partner et expert en data/IA pour l’industrie automobile
Mathieu Sabarly