La menace d’une récession plane de plus en plus sur les États-Unis. De 30 % au début de l’année, le risque que Washington connaisse un recul de son produit intérieur brut (PIB) sur au moins deux trimestres consécutifs cette année est passé à 40 %, a averti l’économiste en chef de JPMorgan, Bruce Kasman, ce mercredi 12 mars.
« Nous sommes aujourd’hui très préoccupés par l’économie américaine », a-t-il rapporté à la presse à Singapour. Pour rappel, JPMorgan prévoit actuellement une croissance du PIB américain de 2 % cette année. La semaine dernière, les économistes de Goldman Sachs et de Morgan Stanley ont revu à la baisse leurs prévisions de croissance du PIB américain en 2025, les ramenant respectivement à 1,7 % et à 1,5 %.
Droits de douane
Selon Bruce Kasman, le risque de récession augmenterait probablement jusqu’à 50 % ou plus si les droits de douane dits réciproques que le président américain a menacé d’imposer à partir du mois d’avril entraient en vigueur de manière significative. « Si nous continuons sur la voie de politiques plus perturbatrices et moins favorables aux entreprises, je pense que les risques de récession augmenteront », a-t-il déclaré.
« Les droits de douane vont entraîner des représailles et pénaliser les entreprises américaines parce que ces entreprises achètent des biens intermédiaires importés qui vont être plus chers », explique à La Tribune Antoine Bouët, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii).
Inflation
La plupart des économistes s’attendent à voir les prix grimper sur le marché intérieur à mesure que les droits de douane entrent en vigueur. Le mois dernier, l’indice CPI avait bousculé les marchés en étant plus élevé que ce que prévoyaient les analystes, et avait exacerbé les craintes d’un possible recul de la croissance.
Après quatre mois consécutifs d’accélération, l’inflation américaine a toutefois ralenti un peu plus que prévu en février, s’inscrivant à +2,8 % sur un an, selon l’indice CPI publié ce mercredi. Pour guider sa politique monétaire, la Réserve fédérale (Fed), dont l’objectif est de ramener l’inflation à 2 %, privilégie une autre mesure d’inflation, l’indice PCE. Publié en fin de mois, il a lui aussi ralenti (à +2,5 % sur un an en janvier).
Politique anti-immigration
« La hausse des prix va aussi être alimentée par les politiques d’expulsion des immigrés », ajoute Antoine Bouët. La lutte contre l’immigration a été le thème principal de la campagne de Donald Trump. Depuis son retour au pouvoir, il a lancé une vaste offensive en la matière, et continue d’affirmer que les récents immigrés sont responsables d’une vague de criminalité aux États-Unis, sans aucun élément statistique probant.
Avec cette politique, « il va manquer de main-d’œuvre sur un marché du travail qui est très serré », anticipe le directeur du Cepii. Pour rappel, le taux de chômage a atteint 4,1 % aux États-Unis en février, selon le ministère américain du Travail.
Dans un entretien à La Tribune, publié le 12 février dernier, Florence Pisani, cheffe économiste du gestionnaire d’actifs Candriam, prévenait également que si Donald Trump tenait ses promesses sur l’immigration, « cela tendra[it] le marché du travail et renforcera[it] encore les pressions inflationnistes » aux États-Unis.
Taux d’intérêt élevés
En l’absence de progrès sur le front de l’inflation, la plupart des acteurs de la finance s’attendent à voir l’institution monétaire maintenir ses taux inchangés le 19 mars, à l’issue de sa prochaine réunion. Le président de la Fed a estimé vendredi dernier que l’économie des États-Unis était confrontée à un « haut niveau d’incertitudes » et que l’institution monétaire pouvait « attendre plus de clarté » sur les réformes engagées par le nouveau gouvernement avant de bouger ses taux.
Or, le maintien de taux d’intérêt élevés pourrait « pousser l’économie américaine vers la récession », assurait Florence Pisani à La Tribune en février. Et pour cause, « les entreprises et ménages emprunteront moins parce que ça leur coûtera plus cher, donc tous les projets d’investissement ou d’achats de bien de consommation durables pourraient être repoussés », explique Antoine Bouët.
Consommation des ménages
Les dépenses de consommation ont déjà globalement baissé depuis l’investiture Donald Trump, observait mercredi dernier la Fed dans son Livre beige, une enquête sous forme de consultation d’acteurs économiques et d’experts. En janvier, la consommation des ménages avait davantage reculé que ce à quoi s’attendaient les marchés, un fléchissement attribué entre autres au temps froid et aux mégafeux en Californie.
Les analystes de HFE voient toutefois dans les derniers chiffres un mauvais augure : « Pourquoi les ménages ont-ils davantage épargné ? À cause de grosses traites sur les cartes de crédit (…) ? Ou de l’incertitude devant un environnement politique agité avec les droits de douane et les bouleversements à Washington à la une de l’actualité ? »
Confiance des investisseurs
L’économiste en chef de JPMorgan a également averti ce mercredi que le malaise suscité par le style de l’administration Trump pourrait ébranler la confiance des investisseurs dans les actifs américains s’il remet en question la confiance, construite au fil des ans, dans les marchés et les institutions des États-Unis.
Les coupes budgétaires dans les agences fédérales, les changements brusques dans le rôle des États-Unis dans le monde et les décisions telles que la dissolution, la semaine dernière, des comités consultatifs chargés d’aider à la collecte des données, sont autant de facteurs qui pourraient contribuer à saper la confiance, a prévenu Bruce Kasman. La Bourse de New York a subi ces derniers jours sa plus forte chute depuis des mois.
« Tous ces éléments font partie des incertitudes qui pèsent sur la politique américaine, et je ne pense pas que l’on ait pris la mesure du risque qui pèse sur les perspectives de cette année », a déclaré Bruce Kasman.
(Avec agences)
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Marius Bocquet