Pauline Pauget / HANS LUCAS
Mon premier et dernier jour de boulot
Par Chloé Sémat
Publié le
Après 30 années passées dans son cabinet médical, Jean-Michel, 64 ans, a raccroché sa blouse en juillet dernier. Pour « Marianne », il raconte son premier et son dernier jour de travail, en revenant sur l’insécurité croissante subie par la profession ces dernières années. À noter que les médecins généralistes sont en première ligne face à ces violences, en hausse de 23 % en 2023.
La médecine générale, c’était un rêve d’enfant. Pour la petite histoire, le voisin de mes parents, lorsqu’ils habitaient en Bretagne, était praticien. Il est intervenu une fois à domicile pour soigner mon frère qui s’était fait une luxation du pouce. Je me souviens qu’il hurlait à la mort parce qu’il avait mal. Le médecin est arrivé et lui a remis l’articulation en place en deux secondes. Quand j’ai vu ça, je me suis dit : c’est ce métier que je veux faire. Depuis, cette envie ne m’a jamais quitté et j’ai essayé de tout faire pour y parvenir.
J’ai fini mes études en 1993. Ça a été une période éprouvante et parfois, angoissante, mais on sait qu’en médecine, ça fait partie du lot. J’ai ensuite commencé mes premiers remplacements en 1994. Je suis allé dans le Var, le Cantal, les Pyrénées-Orientales… Je voulais tester l’arrière-pays et les coins un peu isolés pour me faire une idée. Je me souviens que pour mon premier remplacement, dans le petit village de Quarante (Hérault), j’avais diagnostiqué une embolie pulmonaire du post-partum à une jeune maman qui était essoufflée dans son lit. Au début, lorsque je l’ai envoyée aux urgences de Béziers, ils ne m’ont pas cru sous prétexte que j’étais un jeune remplaçant. Je l’ai donc redirigée vers le CHU de Montpellier, où ils ont confirmé mon diagnostic. Son mari est venu me remercier, en me disant que sa femme était toujours là grâce à moi.
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Deux ans plus tard, je me suis lancé dans quelques remplacements à SOS Médecins avant de m’installer définitivement dans mon propre cabinet en février 1999. À cette époque, l’image du médecin n’avait rien à voir avec celle que les gens ont aujourd’hui. On avait la sensation d’être respectés et les patients écoutaient ce qu’on disait. Dans le Cantal par exemple, où j’ai fait quelques remplacements, certains me ramenaient des caissettes d’œufs ou de cèpes.
De fait, je n’étais pas stressé et je ne pensais jamais à la possibilité de me faire agresser dans mon cabinet, bien que j’aie commencé à subir des violences lors de mes gardes pour SOS Médecins. Je me suis notamment retrouvé à faire du catch avec un patient qui me frappait et les pompiers ont fini par intervenir pour l’hospitalier. Une autre fois, j’ai eu affaire à un dépressif qui m’a pointé son arme entre les deux yeux en me menaçant de me tuer avant de se suicider. Je sais que j’aurais pu mourir sur ce coup et c’est pour ces raisons que j’ai fini par arrêter les gardes à SOS Médecins qui peuvent s’avérer dangereuses parce qu’on est confrontés aux cas les plus problématiques.
Insécurité croissante
Je pense qu’en trente ans, la société a changé et l’insécurité s’est encore aggravée depuis le Covid. Le nombre de médecins disponibles pour les patients s’est effondré et les jeunes praticiens ne travaillent pas comme nous. À l’époque, je pouvais enchaîner quinze heures d’affilée, recevoir des patients jusqu’à 23 heures et enchaîner avec des gardes de nuit. On faisait des horaires pas possibles, avec parfois des semaines de 70 heures. C’était une autre médecine. Aujourd’hui, il faudrait deux ou trois médecins pour remplacer un vieux comme moi.
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Bien sûr, il ne faut pas croire que les jeunes ne travaillent pas beaucoup ! Mais ils sont moins disponibles parce que la part administrative à gérer est de plus en plus importante, entre les dossiers pour la MDPH [Maison Départementale pour les Personnes Handicapées], les maisons de retraite, les courriers pour les confrères… Avec mes associés, on n’avait pas les moyens de payer une secrétaire alors on était obligé de gérer cette partie nous-même bien qu’on ne soit pas formé pour ça. Ça mange du temps dédié aux patients et ça rajoute à leur frustration parce que certains doivent attendre une semaine voire quinze jours avant d’obtenir un rendez-vous. Résultat : quand ils arrivent dans notre cabinet, ils sont déjà stressés et parfois agressifs. Certains s’énervent, poussent des meubles et cassent des objets.
C’est difficile parce qu’on se donne corps et âme pour soigner la population et on se retrouve cambriolés, tabassés ou insultés. Dans mon cabinet, on avait même fait installer de fausses caméras de surveillance pour dissuader les patients potentiellement agressifs, mais elles ont été arrachées. Honnêtement, ça donne envie de baisser les bras.
Inaction du gouvernement
Et le gouvernement ne fait rien pour arranger les choses, ni pour inciter les jeunes médecins à s’installer pour lutter contre la désertification médicale. Je ris jaune quand je vois les mesures mises en place, notamment pour déléguer certains de nos actes aux infirmiers ou aux pharmaciens. Le diagnostic, ce n’est pas leur métier. Ça montre qu’on est au pied du mur.
Par ailleurs, la vraie raison qui m’a poussé à prendre ma retraite en juillet dernier, c’est la manière dont l’exécutif nous a traités lors des discussions autour de la revalorisation de l’acte. Il est d’abord passé de 25 à 26,50 euros – soit une augmentation nette de 75 centimes quand on enlève les charges. Ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le gouvernement n’a toujours pas compris l’urgence de la situation.
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Aujourd’hui, je me sens mitigé. J’adore mon métier – de toute façon, je n’aurais pas pu faire autant d’heures sans être passionné, sinon j’aurais fini par craquer. Je sais que le diagnostic et les patients que j’ai côtoyés pendant des décennies vont me manquer. En revanche, je suis soulagé de me débarrasser de la partie administrative ! Même si dans les faits, je fais encore quelques remplacements à mon cabinet médical lorsque mes associés sont absents. De temps en temps, je rempile – la preuve que l’envie me titille encore un peu !
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne