Les annonces récentes des États-Unis concernant leur retrait de l’OMS et la réduction de l’aide publique au développement (APD) ainsi que des financements pour les programmes de recherche dans le Sud global, bouleversent notre vision de la santé mondiale.
Avec 40 % de l’APD mondiale et un budget de 47 milliards de dollars en 2024 pour USAID, les États-Unis exerçaient un leadership clé et avaient de facto accepté d’assumer un rôle crucial pour la santé des populations les plus vulnérables dans les pays les plus pauvres. Malheureusement, cette remise en question de l’importance de l’APD ne touche pas seulement les Etats-Unis puisque ce phénomène atteint également la France et plusieurs pays européens (par exemple Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse).
En France aussi, l’APD contestée
La France, par son histoire, son expertise scientifique et médicale, a joué jusqu’ici un rôle de premier plan. Elle consacre environ 13,9 milliards d’euros à l’APD, dont 18 % (2,5 milliards d’euros) à la santé, ce qui en fait le cinquième bailleur mondial. La recherche pour et avec les pays du Sud global mobilise environ 400 millions d’euros, avec des institutions reconnues comme l’IRD, l’Institut Pasteur, l’ANRS-MIE, le Cirad et certaines universités, avec des réseaux de recherche dédiés.
Face aux restrictions budgétaires et galvanisés par les brutales coupes américaines, certains mouvements extrêmes questionnent la pertinence de l’APD : « Pourquoi financer la santé en Afrique alors qu’on manque de médecins en France ? ». Deux réponses s’imposent :
- L’APD est un enjeu de solidarité et de droits humains, affirmant l’accès à la santé comme un droit fondamental.
- L’APD en santé a catalysé des réussites incontestables grâce à l’approche multilatérale et aux fonds dits « verticaux ». Depuis le début des années 2000, ceux-ci ont permis de traiter 30 millions de patients et de réduire de 40 % les nouvelles infections par le VIH, de soigner 7,1 millions de personnes atteintes de tuberculose, et notamment les malades de formes multi-résistantes, et de sauver des millions d’enfant du paludisme. Les campagnes de vaccination ont réduit le nombre annuel de décès dus à la rougeole de 79 %, entre 2000 et 2014, ce qui représente environ 17,1 millions de vies sauvées durant cette période. Ces progrès risquent un recul majeur si les financements s’effondrent.
Financer la recherche scientifique internationale, c’est protéger notre santé. Les virus et bactéries multi-résistantes ne connaissent pas de frontières. La pandémie de Covid-19 a démontré l’illusion du repli national et l’impact économique désastreux d’une crise sanitaire mondiale. La majorité des infections émergentes proviennent du Sud global, exacerbées par le changement climatique et l’intensification des échanges internationaux. La résistance croissante aux antibiotiques constitue une menace directe pour notre santé et notre sécurité.
Pour nous protéger, la recherche en santé en collaboration avec les pays du Sud global doit être mieux coordonnée et mieux financée : réseaux de surveillance des maladies, plateformes de séquençage, nouvelles unités de production de vaccins à ARNm, surveillance de l’antibiorésistance, essais cliniques sur les traitements à longue durée d’action. Il est aussi essentiel d’analyser les mécanismes de transmission des agents pathogènes, ainsi que le rôle des vecteurs et des réservoirs animaux dans l’émergence des maladies.
Une opportunité pour la France
Le retrait partiel des États-Unis offre à la France une opportunité stratégique d’assumer un rôle de leadership politique et scientifique dans la gouvernance mondiale de la santé, en renforçant sa coopération avec l’Union Européenne et l’OMS, et en mettant en œuvre des initiatives concrètes pour soutenir les pays les plus vulnérables.
Pour cela, il est essentiel de clarifier les priorités, de repenser la gouvernance mondiale de la santé, et d’intégrer de nouvelles dimensions telles que l’environnement, l’alimentation, la vieillement des populations et les maladies chroniques. Une information claire et indépendante est également indispensable pour sensibiliser nos concitoyens au danger que représente la baisse des financements pour l’APD et la recherche. Le think tank Santé Mondiale 2030 s’engage à développer des propositions concrètes et urgentes pour soutenir la santé mondiale.
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Par Jean-François Delfraissy