L’annonce d’un ANRU 3 nous offre une occasion unique de repenser la rénovation urbaine. Depuis plus de vingt ans, l’ANRU transforme le paysage des quartiers populaires en France. À Grigny, nous en sommes les témoins : l’ANRU 1 et 2 ont indéniablement amélioré le cadre de vie des habitants. Prenons l’exemple de la Grande Borne : le quartier est aujourd’hui désenclavé, plus accessible, mieux desservi par les transports en commun. Aujourd’hui, la question n’est pas de savoir s’il faut continuer la rénovation urbaine, mais bien de déterminer comment concevoir la rénovation urbaine de demain qui aura, déjà, en son cœur, les impératifs de la lutte contre réchauffement climatique et l’adaptation de nos villes à ses enjeux.
Avec la publication des rapports Ensemble, « Refaire la ville » de Delorme, Mialot, Van Styvendael et « Réussite Républicaine » de Vincent Léna, l’urbain et l’humain retrouvent enfin leur place conjointe sur le devant de la scène. Le message est clair : ne nous contentons pas de transformer la ville, ayons l’ambition de transformer la vie des habitants des quartiers populaires !
Le rapport Delorme, Mialot, Van Styvendael le souligne : « la ségrégation socio-spatiale s’est accrue en France sous les effets combinés de la métropolisation, de la désindustrialisation et de l’accroissement des inégalités sociales ». Pourquoi ? Parce que la politique de rénovation urbaine a longtemps investi dans le cadre bâti, mais ne peut pas réussir seule à inverser les dynamiques de paupérisation et de ségrégation socio-spatiale à l’œuvre dans les quartiers populaires. La pauvreté ne se combat pas uniquement à coups de pelleteuses et de grues, mais avec une politique ambitieuse de lutte contre les inégalités sociales et éducatives pour laquelle l’ensemble des acteurs publics doit être au rendez-vous !
C’est là qu’intervient une deuxième voie, dévoilée par le rapport Léna : « Les quartiers populaires sont aussi le lieu des solutions, qui s’élaborent et se mettent en œuvre depuis plus de 40 ans, et dont le reste du pays, y compris sa partie rurale qui partage un même risque de partition, peut tirer d’utiles enseignements ». C’est une incitation à changer de regard. Lorsqu’on nous demande si la rénovation urbaine est une opportunité pour nos quartiers, retournons la question : en quoi les politiques que nous menons dans nos quartiers populaires peuvent-elles inspirer une rénovation urbaine plus juste et plus humaine ? Depuis trop longtemps, les territoires populaires sont traités comme des anomalies à corriger, des espaces à requalifier, sans considérer pleinement les dynamiques sociales et humaines à l’œuvre.
Les solutions pour une rénovation urbaine plus juste et sociale existent, et elles se trouvent dans nos quartiers populaires. Comme le souligne le sociologue Renaud Epstein, ces quartiers se sont battus et continuent de se battre pour leur droit à la réparation par le pouvoir de l’interpellation et de l’expérimentation. Depuis fort longtemps, nous interpellons et nous expérimentons pour que la bataille contre la ségrégation spatiale soit menée de front avec celle de la ségrégation sociale, économique et éducative.
À Grigny, 44% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Derrière ce chiffre, ce sont plus de 12 000 femmes et hommes qui peinent à boucler leurs fins de mois, qui subissent la précarité et qui, trop souvent, renoncent à leurs droits. Dès 2013, Grigny interpelle et devient une cité éducative pilote, expérimentant pour la première fois la création d’un véritable écosystème éducatif, fondé sur la mobilisation d’une diversité d’acteurs pour garantir aux jeunes un parcours éducatif sécurisé. Avec 49% de la population ayant moins de 29 ans et un taux de réussite au baccalauréat général de 18,5%, nous avons fait le choix d’agir.
Mais agir sur l’éducation ne suffit pas si l’on ne traite pas les causes structurelles de la précarité. En 2020, nous avons à nouveau interpellé l’État pour obtenir une déclinaison locale et expérimentale de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Depuis 2023, Grigny est devenue un Territoire Zéro Non-Recours, permettant un meilleur accès aux droits pour les plus vulnérables. 40 actions, un observatoire de la pauvreté et trois publics prioritaires : les familles monoparentales, qui représentent un ménage sur cinq à Grigny et dont 50% vivent sous le seuil de pauvreté ; les seniors, dont plus de 1 000 vivent avec des ressources insuffisantes ; et les travailleurs pauvres, qui constituent 40% des personnes en situation de précarité sur notre territoire.
À Grigny comme ailleurs en France: il est urgent de sortir des logiques purement urbanistiques et d’affirmer clairement que la transformation des quartiers doit avant tout être un projet social. Il ne s’agit pas seulement de rénover le parc social et de désenclaver nos quartiers, mais de rétablir la justice sociale, d’offrir des perspectives d’avenir aux jeunes, de soutenir les familles et de garantir à chacun un accès digne aux services publics. Ce sont les femmes et les hommes qui habitent ces quartiers qui doivent être au cœur des politiques publiques.
Pour faire République ensemble, nous refusons toutes formes de ségrégation urbaine et spatiale des quartiers, mais de séparatisme y compris des plus riches !
Nous appelons donc l’État à engager une politique de rénovation urbaine 3.0 qui intègre pleinement la lutte contre les inégalités socio-spatiales et éducatives. Il en va de l’avenir de nos territoires et de l’ambition républicaine d’une France qui ne laisse personne sur le bord du chemin pour enclencher une réconciliation nationale sur l’ensemble du territoire.
(1) Delorme, J.-M., Mialot, A.-C., & Van Styvendael, C. (2025). Ensemble, refaire ville. Pour un renouvellement urbain résilient des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ministère de la Transition écologique.
(2) Léna, V. (2025). Les femmes, les enfants, et les jeunes d’abord ! 10 règles d’or issues du terrain pour « booster » la réussite républicaine des familles pauvres des quartiers populaires (et d’ailleurs). Ministère de la Ville.
(3) Source : Insee, Filosofi, 2021.
(4) Source : Insee.
(5) Selon l’Education Nationale.
(6) Source : Insee, Filosofi, 2021.
(7) Seuil de pauvreté à 60% du revenu médian disponible (1 158€ /mois). Source : Insee, RP & Filosofi 2021 – Observatoire des fragilités 2021.
(8) Insee, Filosofi, 2021.
(*) Conseiller municipal de Grigny en 1998, puis maire-adjoint à la jeunesse en 2001, Philippe Rio est élu Premier adjoint au Maire lors des élections municipales de 2008, chargé du projet urbain, des transports, du développement économique et de l’environnement. Il devient Maire en 2012 Il est aujourd’hui copropriétaire à « Grigny 2 ».
En 2017 avec d’autres élus et aux côtés de Jean Louis Borloo, ils lancent l’appel de Grigny pour les quartiers populaires. Le 14 novembre 2020, avec une poignée de Maires, Guillaume Delbar (Maire de Roubaix) notamment, il lance un appel au Président de la République pour les QPV. Le 29 janvier 2021, il accueille, à Grigny, le Premier Ministre pour le Comité Interministériel à la Ville. Le 13 septembre 2021, la World Mayor Foundation le désigne « Meilleur Maire du Monde ». Philippe Rio est également Président de la Coopérative des Elus Communistes Républicains et Citoyens.
Philippe Rio