C’est désormais une habitude pour François Bayrou. Questionné quelques minutes sur France Inter à propos de Notre-Dame-de-Bétharram, le premier ministre a de nouveau multiplié les mensonges et les imprécisions, pour mieux dénoncer « une manœuvre de déstabilisation ». Au mépris des faits. Après avoir annoncé qu’il se rendrait devant la commission d’enquête parlementaire si celle-ci le lui demandait, François Bayrou a balayé « des plaintes classées sans suite » le concernant.
La Cour de justice de la République a effectivement classé sans suite deux signalements effectués par des député·es pour non dénonciation de mauvais traitement sur mineurs. En revanche, la procédure pour entrave à la justice ouverte après le signalement de l’avocat palois Jean-François Blanco n’est pas classée. Ce signalement fait suite aux révélations du gendarme chargé de l’enquête sur l’ex-directeur de l’institution catholique, visé par une plainte pour viol en 1998, qui a témoigné d’une possible intervention de François Bayrou dans l’affaire.
François Bayrou continue par ailleurs, malgré les nombreuses révélations prouvant l’inverse, d’assurer son ignorance des mauvais traitement infligés à Notre-Dame-de Bétharram. Il a pourtant été successivement, et parfois concomitamment, parent d’élève de l’établissement, maire de Pau, président du conseil général, ministre de l’éducation nationale et député de la circonscription. « Le maire de la commune depuis 2002, qui n’est pas un de mes amis politiques – c’est un militant du PS –, a fait une déclaration publique pour dire “c’est pas vrai qu’on savait” », a assuré le premier ministre sur France Inter.
Mensonges en série
Or, le maire de Lestelle-Bétharram au moment des faits, pourtant un soutien de François Bayrou, a lui-même reconnu auprès de Mediapart la notoriété publique de ces violences infligées aux enfants de sa commune. « Les familles savaient qu’on y distribuait quelques gifles et donnaient tacitement leur accord en connaissance de cause », a affirmé Michel Bouyrie, maire entre 1983 et 2001.
« Il y a eu deux choses, a minimisé le premier ministre, une claque en 1996, inacceptable. Il y a eu saisine de la justice, jugement, condamnation et licenciement de la personne qui avait donné la claque. » C’est là encore faux : non seulement le surveillant condamné pour avoir frappé un élève au point de lui perforer un tympan n’a pas été licencié, mais il a été défendu par l’établissement puis promu, devenant chef adjoint. François Bayrou, lui, s’était déplacé à Notre-Dame-de-Bétharram pour soutenir l’institution, quand elle était mise en cause.
J’attends qu’il ait un discours de vérité. Il s’exposerait à des poursuites pénales s’il mentait à la commission.
Le premier ministre évoque ensuite « un drame, un jeune garçon qui a révélé un drame de pédophilie et l’auteur du drame s’est suicidé », faisant l’impasse sur une pièce centrale de l’histoire : il a, à cette époque et à propos de cette affaire, été se renseigner auprès du juge Mirande, et n’a rien fait. Alors qu’il était président du conseil général, et donc responsable de la protection de l’enfance, François Bayrou a continué d’arroser l’établissement d’argent public : entre 1995 et 1999, il a fait voter au moins 1 million de francs (soit plus de 230 000 euros actuels) de subventions à l’institution.
« C’était il y a vingt-cinq ans, il n’y a pas eu d’alerte entre-temps », a enfin prétendu François Bayrou, là encore contre la réalité des faits. Au moins douze alertes ont été enterrées entre 1993 et 2013, des signalement ignorés, des plaintes classées sans suite. Certaines concernaient des personnes aujourd’hui mises en cause par la justice.
« Je ne peux que constater que le premier à faire la démonstration des mensonges de François Bayrou, c’est lui-même, qui a fait évoluer sa version à plusieurs reprises », réagit auprès de Mediapart Paul Vannier (La France insoumise – LFI), corapporteur de la commission d’enquête parlementaire à venir sur les violences dans les établissements scolaires (les auditions débutent jeudi).
Confirmant que François Bayrou serait bien convoqué, celui-ci met en garde : « J’attends qu’il ait un discours de vérité. Il s’exposerait à des poursuites pénales s’il mentait à la commission. Pour l’heure, nous continuons notre travail de contrôle sur place et sur pièces, pour pouvoir vérifier l’exactitude de ses réponses futures. »
Quelques heures plus tôt, la ministre de l’éducation nationale Élisabeth Borne annonçait, dans les colonnes de La Tribune dimanche, un renforcement des contrôles et une remontée « systématique » des faits de violences dans l’enseignement privé sous contrat. « L’État n’a pas été au rendez-vous avec notamment des contrôles insuffisants pendant toutes ces années », a convenu la ministre, promettant que « 40 % des établissements privés sous contrat seront inspectés dans les deux prochaines années ».
Un plan pour « briser le silence »
Elle a également annoncé, outre « un questionnaire anonyme à remplir tous les trimestres » pour les internes, le déploiement de l’application qui permet de faire remonter des faits de violence au niveau du rectorat ou au ministère dans les établissements privés sous contrat, ajoutant que ces signalements seraient « rendus obligatoires par décret ».
Jeudi dernier, les corapporteurs de la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans les établissements scolaires s’étaient rendus au ministère de l’éducation nationale pour un contrôle. À la sortie, le député LFI Paul Vannier s’était indigné : « Nous découvrons que cette application n’existe pas pour les établissements privés sous contrat, ce qui laisse des millions d’élèves hors du champ de recensement de ces phénomènes. »
À propos du plan annoncé par la ministre de l’éducation, Paul Vannier détaille à Mediapart : « On a plus l’impression d’un plan de communication de crise que d’un plan de contrôle, mais ces premières mesures vont dans le bon sens. Elle annonce 60 inspecteurs supplémentaires, ça va permettre de rattraper un retard considérable : il y a eu très longtemps un angle mort concernant le contrôle des établissements sous contrat. »
Il y a tout juste un an, la ministre Nicole Belloubet avait déjà annoncé des recrutements supplémentaires pour assurer « la montée en puissance du contrôle des établissements sous contrat ». Ces annonces faisaient suite à un rapport parlementaire qui pointait le manque de contrôle et de régulation de l’enseignement privé sous contrat : « Au rythme actuel, la fréquence de contrôle d’un établissement privé est d’une fois tous les 1 500 ans », cinglait le rapport.
Notre-Dame-de-Bétharram, trente ans après une inspection bâclée menée en 1996, va être contrôlé par le rectorat de Bordeaux à partir de lundi. La question de la rupture du contrat d’association, qui oblige l’État à prendre en charge le salaire des enseignant·es et les collectivités locales les frais de fonctionnement du groupe scolaire, se pose désormais.