VALERY HACHE / AFP
Hommage
Par Olivier De Bruyn
Publié le
L’actrice belge est décédée ce 16 mars d’un cancer rare du système endocrinien, à l’âge de 43 ans. Depuis ses débuts dans « Rosetta », des frères Dardenne en 1999, Émilie Dequenne n’a cessé d’interpréter des rôles riches de sens. Retour sur cinq films majeurs de sa trop brève carrière.
Rosetta, de Luc et Jean-Pierre Dardenne (1999)
Coup d’essai, coup de maître(sse). Dans le film qui révèle les frères Dardenne aux yeux du monde ébahi et remporte la palme d’or à Cannes en 1999, Émilie Dequenne, 17 ans au moment du tournage, incarne avec un sidérant réalisme une jeune travailleuse de 18 ans qui se débat dans une précarité crasse depuis qu’elle a été virée de son usine.
Prête à tout pour mener une vie « normale » et avoir droit à la dignité, cette héroïne de notre temps mène un combat vital « juste » bouleversant. Le premier grand rôle de l’actrice qui, à cette occasion, remporte le prix d’interprétation à Cannes. Cette consécration aussi précoce qu’inattendue aurait tourné la tête à beaucoup d’autres jeunes comédiennes. Ce ne fut pas le cas pour Émilie Dequenne, qui est toujours restée fidèle à son exigence dans ses choix artistiques et à sa discrétion dans la société du spectacle.
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La Fille du RER, d’André Téchiné (2009)
Émilie Dequenne a toujours privilégié les rôles riches de sens et les cinéastes porteurs d’un vrai point de vue sur le monde. Dix ans après Rosetta, elle donne le meilleur d’elle-même dans ce film d’André Téchiné inspiré par un sinistre fait divers (la fausse agression antisémite d’une jeune fille dans le RER parisien en 2004) qui avait défrayé la chronique politico-médiatique durant plusieurs jours.
Dans la peau de l’affabulatrice, Émilie Dequenne, fidèle à elle-même, brille de mille feux ambigus.
À perdre la raison, de Joachim Lafosse (2012)
Autre fait divers et autre grand film. En 2012, le réalisateur belge Joachim Lafosse s’inspire de la sinistre affaire Geneviève Lhermitte, du nom de cette mère de famille ayant assassiné ses cinq enfants en 2007.
Accompagnée par deux acteurs irréprochables (Tahar Rahim et Niels Arestrup), Émilie Dequenne, sans un geste ni un regard de trop, interprète l’une des partitions les plus sombres et les plus impressionnantes de sa carrière. Le film vaut à la comédienne de recevoir en Belgique un Magritte de la meilleure actrice, l’équivalent d’un César en France.
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Chez nous, de Lucas Belvaux (2017)
Une infirmière du Pas-de-Calais confrontée à la déliquescence sociale et à l’effondrement du système de soins est attirée par le discours populiste d’un parti d’extrême droite, au point de devenir tête de liste pour une élection municipale…
Le Belge Lucas Belvaux signe un film puissant sur la France d’aujourd’hui et sur l’opportunisme d’un parti politique qui ressemble comme deux gouttes d’eau au Rassemblement national. Dans la peau de l’infirmière naïve, Émilie Dequenne marque les esprits. Sa prestation lui vaut de recevoir un nouveau Magritte de la meilleure actrice.
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Les Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait, de Emmanuel Mouret (2020)
La politique et le social, mais pas que… Devant la caméra de l’orfèvre Emmanuel Mouret, expert dans l’examen des intermittences du cœur, Émilie Dequenne incarne Louise, une héroïne mystérieuse et ensorcelante. Sa prestation est récompensée par un César de la meilleure actrice dans un second rôle.
« J’avais très envie de travailler avec Émilie depuis longtemps, racontait Emmanuel Mouret en 2020. Sa palette de comédienne est incroyable et tout ce qu’elle joue semble si profondément ancré dans sa chair que même son visage et sa voix peuvent se transformer spectaculairement. » Le dernier grand rôle d’une actrice qui va cruellement manquer au cinéma d’auteur.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne