Si les vocations agricoles tendent à se raréfier, ce n’est pas le cas de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, où le métier continue d’être attractif. « Les Points accueil information de nos chambres d’agriculture ne désemplissent pas », constate Laurent Vinciguerra, directeur général délégué de la Safer Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le climat ensoleillé et la diversité des filières attirent notamment de nombreux néo-agriculteurs. De même que la forte représentation de l’agriculture biologique, avec 35% des surfaces en bio – le taux le plus élevé de France selon la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAFF).
Mais la vocation ne fait pas tout. Pour relever l’immense défi du renouvellement de la génération d’agriculteurs – la moitié des agriculteurs actuels seront partis à la retraite en 2030 – il faut que les nouveaux agriculteurs disposent de terrains sur lesquels s’installer. Or depuis cinquante ans, Provence-Alpes-Côte d’Azur a perdu 50% de sa surface agricole utile, contre 30% pour l’ensemble du pays. Un phénomène qui s’explique par une conjonction de facteurs.
Parmi eux, l’artificialisation des sols évidemment, importante notamment sur les territoires littoraux et autour des villes principales des très grands pôles urbains de la région. Mais il arrive aussi que des terres échappent aux nouveaux agriculteurs sans pour autant être artificialisées.
Détournement d’usages : un phénomène qui prend de l’ampleur
Parfois, les terres sont tout simplement laissées à l’abandon par les héritiers. Dans d’autres cas, le cédant démantèle ses terres, en louant les parcelles à des personnes qu’il connaît, des voisins par exemple. Il arrive aussi que les terres soient vendues pour des usages non agricoles : pour y installer un poney, un mobile-home où passer le week-end mais aussi le dépôt de gravats ou la mise à distance des voisins… Générant des dégâts plus ou moins réversibles. On parle aussi de consommations masquées, un phénomène qui a pris de l’ampleur ces dernières années, atteignant son pic en 2021. « Le covid-19 a rendu l’achat de terres agricoles à usage de loisirs très attractif », assure Nicolas Agresti, directeur du service études, veille et prospective au sein de la Fédération nationale des Safer. D’après cette dernière qui a mené une étude sur le sujet, le phénomène de consommation masquée concernerait 27.919 hectares en France. Entre 2015 et 2023, elle estime à 10.000 hectares la surface concernée en Provence-Alpes Côte d’Azur, soit un peu plus de 1,6 % de la surface agricole utile.
Face à cela, l‘Assemblée nationale a adopté dans la nuit du 11 au 12 mars une proposition de loi visant à lutter contre la disparition des terres agricoles. Objectif : renforcer le pouvoir des Safer pour éviter que des non-agriculteurs acquièrent des terres agricoles et modifient leur usage. « Le meilleur moyen de préserver le foncier agricole, c’est d’y installer des agriculteurs qui travaillent la terre, dans des filières compétitives », pointe Laurent Vinciguerra.
Accompagner les entrées et sorties
La Safer et ses partenaires – Chambres d’agriculture notamment-, s’attellent aussi à mieux accompagner les porteurs de projet et les cédants, afin de faciliter la rencontre et veiller à ce que les terres continuent de servir des activités agricoles. La Safer Sud est aussi à l’origine de la Scic Terre Adonis qui permet aux entreprises d’acheter ensemble des terres qui sont ensuite mises à la disposition d’agriculteurs, pour un portage de 7 à 10 ans. Dix propriétés ont ainsi été acquises en région Sud. Avec 4,5 millions d’euros réunis pour le quatrième exercice de cette Scic. « Les agriculteurs ont un capital sympathie important. Beaucoup d’entreprises sont prêtes à les soutenir, car elles sont conscientes du rôle de l’agriculture sur un territoire, notamment en matière d’entretien des sols et de gestion des risques », assure Camille Gonzalez, directrice déléguée au développement de Terre Adonis.
Les collectivités locales ont également un rôle à jouer. La Région Sud déploie ainsi une palette d’outils afin d’accompagner cédants et porteurs de projets. « Nous proposons des formations complémentaires pour les entrants, on leur facilite la tâche, notamment sur le foncier et les dossiers de financements européens : nous pouvons faire des avances de trésorerie si nécessaire. Nous travaillons de cette manière par filière, par département, jusqu’au territoire le plus proche. La stratégie ne peut pas être la même dans les Hautes-Alpes qu’à Saint-Raphaël », explique le président de la Région Sud, Renaud Muselier.
« Dans les années 1950, on comptait 1 hectare de surface agricole pour un Français. Aujourd’hui, c’est 4,5 m². Jusqu’à récemment, la baisse du foncier agricole était compensée par les hausses de rendement dans l’agriculture, analyse Nicolas Agresti. Mais on assiste désormais à une stagnation voire une baisse des rendements ». En cause : les effets du réchauffement climatique (floraison précoces mises à mal par les gels tardifs, sécheresses et autres phénomènes météorologiques extrêmes …), de même que l’érosion de la biodiversité et la mauvaise santé des sols. « L’augmentation des rendements ne fait plus partie des solutions ». D’où l’urgence d’agir sur le foncier. « On a tendance à se cacher derrière les excédents de notre balance commerciale. Mais ces excédents sont surtout portés par les vins et spiritueux. Ce n’est pas ce qui nous nourrit. Il y a un enjeu majeur de souveraineté autour de notre alimentation. Si on ne le traite pas, nous risquons de plus en plus de dépendre de pays inamicaux ».