Serge Tenani / Hans Lucas
Dédiabolisation
Pour la première fois de sa carrière politique, le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, effectue une visite “officielle” en Israël à l’occasion d’une conférence internationale contre l’antisémitisme, organisée par le gouvernement de Benyamin Netanyahou. Une présence qui a déclenché une vive polémique.
« Je rejette l’idée selon laquelle tous les juifs dans le monde sont anti-Trump et anti Jordan Bardella »: cet étrange cri du cœur a été poussé par Amichai Chikli, le ministre israélien chargé des relations avec la Diaspora. Son objectif : justifier l’invitation sans précédent qu’il a lancée au dirigeant du Rassemblement National et à d’autres mouvements d’extrême droite suédois et hongrois notamment, à une conférence internationale contre l’antisémitisme organisée les 26 et 27 mars à Jérusalem. Pour lui, une telle alliance entre Israël et les formations populistes européennes est vitale et passe au-dessus de toutes autres considérations, notamment sur le passé trouble de certains dirigeants de ces formations.
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« Jordan Bardella n’est pas un extrémiste de droite, mais un ami extrême d’Israël, qui ne doit en aucun cas tourner le dos à ceux qui nous soutiennent » a ajouté ce ministre, représentant la frange la plus dure du Likoud, le parti de Benyamin Netanyahou. Il établit le même diagnostic que le Rassemblement national : « l’Islam radical constitue le principal danger pour les communautés juives du vieux continent ». Ce rapprochement ne date pas d’hier. Amichai Chikli a rencontré l’an dernier Marine le Pen et Jordan Bardella en Europe, brisant ainsi un tabou en vigueur pendant des décennies contre tout ce qui avait un rapport avec Jean-Marie Le Pen et ses déclarations négationnistes sur le « détail » des camps d’extermination nazis.
Pour certains, toutefois, la pilule est très dure à avaler. Même le président Isaac Herzog, qui a surtout des fonctions symboliques, a marqué sa désapprobation. Il a refusé de recevoir les dirigeants des partis étrangers invités et se contentera de s’entretenir à sa résidence à Jérusalem avec les représentants des communautés juives dans le monde. « Nous avons été surpris d’apprendre l’identité de certains des participants dans la mesure où l’objectif de la conférence est de combattre l’antisémitisme », a indiqué le bureau du président dans un communiqué.
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D’autres invités ont été beaucoup plus vifs dans leurs réactions, en annonçant qu’ils boycotteraient tout simplement l’événement. L’un d’eux, Ariel Muzicant, président du Congrès juif Européen, a été particulièrement véhément. « En Europe, nous nous battons contre les partis extrémistes alors qu’en Israël on invite leurs représentants, on leur accorde un certificat de cacherout, je ne comprends pas pourquoi un ministre tient à le leur accorder », a-t-il lancé et d’ajouter à l’adresse du gouvernement israélien : « vous venez en aide à nos ennemis, en joignant vos forces avec l’extrême droite ».
De nombreuses défections
Du côté de la communauté juive américaine, les défections se sont multipliées en signe de protestation. Le dirigeant de la Conférence des présidents des principales organisations juives américaines, William Daroff, et le Grand Rabin de Grande-Bretagne, Efraïm Levi, ont annoncé qu’ils ne cautionneraient pas cette conférence, de même que Félix Klein, commissaire chargé de la lutte contre l’antisémitisme en Allemagne ou Bernard Henri-Lévy.
Cette avalanche de critiques a laissé de marbre Amichai Chikli. Pour lui, ses adversaires font preuve d’aveuglement. Il est impératif d’appliquer à la lettre le principe cynique selon lequel « les ennemis de nos ennemis sont censés être nos amis ». De son côté, Jordan Bardella n’a pas ménagé ses efforts de dédiabolisation. Il s’est prononcé par exemple contre la création d’un État palestinien, comme le préconise la France, en affirmant qu’un tel scénario reviendrait à « accorder une récompense au terrorisme ».
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Des déclarations qui ne peuvent que séduire le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël, pour qui la solution des deux États relève du pire cauchemar. Dans la droite ligne de ce refus catégorique, Amichai Chikli a dénoncé ceux qui s’accrochent à cette option ainsi qu’à ceux susceptibles d’apparaître de près ou de loin comme des libéraux. Il s’en est ainsi pris aux partisans du « politiquement correct qui sont restés bloqués un demi-siècle en arrière ». Détail important : Benyamin Netanyahou n’a jamais désavoué ce ministre, même lorsque celui-ci avait confié à la veille des élections législatives en France l’an dernier qu’il ne pourrait que se féliciter d’une possible arrivée au pouvoir de Marine Le Pen.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne