Ève Szeftel : “Réforme des retraites : leurs chiffres, nos vies”

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Ève Szeftel : “Réforme des retraites : leurs chiffres, nos vies”





















« La loi Borne, adoptée par 49.3, reste perçue comme profondément injuste, malgré les correctifs qui y ont été apportés pour les carrières longues. », estime Eve Szeftel.
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L’édito d’Ève Szeftel

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Du matin au soir, élus du bloc central et éditorialistes se relayent sur les plateaux TV pour marteler la doxa du moment : seul le recul de l’âge légal peut sauver le système. Pourtant, les Français restent majoritairement favorables à un retour à 62 ans, jugeant que le travail ne paie pas assez et que la réforme est profondément injuste. Pour Ève Szeftel, directrice de la rédaction de « Marianne », plusieurs pistes existent pour financer ce retour à 62 ans.

Maladresse ou acte manqué ? En fermant la porte à un retour à 62 ans, François Bayrou n’a pas seulement changé les règles du jeu du « conclave » au sein duquel la réforme devait être remise sur le métier « sans totem ni tabou » – il a surtout exprimé, sans doute involontairement, le fond de la pensée de l’exécutif, et de la classe dominante : il faut travailler plus pour empêcher la catastrophe d’advenir, un déficit du régime qui devrait atteindre 15 milliards dans dix ans, 30 milliards dans vingt ans, alors qu’il est aujourd’hui excédentaire de 8,5 milliards. Du matin au soir, élus du bloc central et éditorialistes se relayent sur les plateaux de télévision pour marteler la doxa du moment : seul le recul de l’âge légal peut sauver le système, dans une équation budgétaire rendue par ailleurs encore plus difficile par la nécessité de réarmer la France face à la menace russe.

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Cette pensée unique, pour citer Jean-François Kahn, fait peu de cas d’une réalité : si les Français ne descendent plus dans la rue comme ils l’ont fait massivement en 2023, ils restent majoritairement (à 56 %) favorables à un retour à 62 ans. Sans surprise, ce pourcentage grimpe à 71 % chez les employés et les ouvriers. Parce qu’ils sont des Gaulois réfractaires, jamais contents de leur sort ? Des fainéants doublés d’irresponsables, indifférents aux projections alarmantes de la Cour des comptes ou du Conseil d’orientation des retraites ?

Profondément injuste

Non. C’est parce que la loi Borne, adoptée par 49.3, reste perçue comme profondément injuste, malgré les correctifs qui y ont été apportés pour les carrières longues. Au passage, on peut se demander quel est le sens d’une réforme qui a tant de défauts qu’elle doit être réparée dès sa conception. Comme le disait le regretté Daniel Cohen, l’un des plus grands économistes français – pas connu pour être un gauchiste –, « soit la réforme est bonne et on la fait, soit elle n’est pas bonne et on ne la fait pas ».

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Sa principale injustice est son caractère universel : elle est la même qu’on soit ouvrier ou cadre. Or l’espérance de vie n’est pas la même selon qu’on est CSP+ ou CSP-. Selon l’Insee, l’espérance de vie des hommes s’élève à 84 ans pour un cadre, soit 6,4 ans de plus que pour un ouvrier. Entre un diplômé et un non-diplômé, l’écart est de 8 ans. Et si on prend en compte l’espérance de vie sans incapacité (c’est-à-dire en bonne santé), c’est pire encore. Ainsi, près d’un quart des Français souffraient d’une limitation physique lors de leur première année de retraite en 2018, selon le ministère de la Santé. Une nouvelle fois, les plus touchés sont les ouvriers : 34 % sont contraints dans les activités de la vie quotidienne dès leur première année de retraite. Sachant que le report de la borne d’âge a tendance à augmenter la fréquence et la durée des arrêts maladie, une « externalité négative » de la réforme ignorée par ses adeptes.

L’inégalité face à la mort, ou à la vie, c’était, pour Daniel Cohen, ce qui fondait son opposition à la réforme Borne, laquelle foulait aux pieds, pour lui, une règle de justice essentielle : « Vous commencez à travailler tôt, vous partez tôt. » À rebours de la réforme Touraine, qui permettait de « corriger en partie les inégalités d’espérance de vie. À partir du moment où on met un âge pour tous, on perd cette vertu du système et on le rend inégalitaire », expliquait-il sur France Inter en 2019, quatre ans avant sa mort.

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Pour autant, pas plus que les Français, à Marianne nous ne sommes irresponsables. Nous avons bien conscience de la nécessité de trouver des ressources pour préserver l’équilibre futur du régime. Pour financer un retour à 62 ans, la Direction générale du Trésor a calculé qu’il fallait trouver 24 milliards d’euros. Nous les avons trouvés. Nous présentons nos 7 pistes pour financer ce retour à 62 ans. Et réconcilier ainsi les chiffres et les vies.


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