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L’implantation aux États-Unis de ce gang spécialisé dans l’exploitation de migrants est mal connue, mais Trump en a fait un symbole de sa politique migratoire, pourchassant ses membres présumés avec des méthodes expéditives qui inquiètent même certains conservateurs.
En septembre 2023, le gouvernement du Venezuela a repris le contrôle de la prison de Tocorón, dans l’État d’Aragua, au nord du pays, après avoir envoyé sur place plus de dix mille soldats et policiers. La presse avait été invitée à visiter la prison, organisée comme une véritable ville, avec piscine, discothèque et même un zoo. C’est dans cet établissement qu’est né vers 2013 le gang Tren de Aragua, (en français “Train d’Aragua”) que Trump a accusé, via décret officiel, d’avoir envahi les États-Unis et de « mener une guerre irrégulière contre le territoire des États-Unis ».
« Sous la dictature de Hugo Chávez, le gouvernement du Venezuela a perdu le contrôle de ses prisons, et a laissé les détenus les gérer. Ils y ont créé leurs propres sociétés indépendantes et ont commencé à organiser des opérations criminelles dans le pays. Quand la situation économique du pays est devenue encore plus catastrophique, vers 2019 et 2020, ils se sont implantés en Colombie, au Pérou, en Équateur et au Chili », explique Daniel Di Martino, un chercheur au think tank conservateur Manhattan Institute, qui a fui le Venezuela en 2016.
Ces dix dernières années, plus de sept millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays, où l’accès à la nourriture et aux soins est devenu précaire. Environ 700 000 d’entre eux se sont installés aux États-Unis, où ils ont bénéficié, sous la présidence de Joe Biden, d’un statut temporaire leur permettant de travailler. Parmi ces immigrés se sont infiltrés des criminels que les autorités frontalières ont du mal à repérer, notamment parce que le Venezuela ne partage pas ses renseignements avec les États-Unis.
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À partir de 2021, la police d’une douzaine d’États américains a procédé à plusieurs arrestations d’individus potentiellement liés à Tren de Aragua. Suite à l’effondrement économique de leur pays, le gang, qui compterait quelque 5000 membres, s’est spécialisé dans la traite d’êtres humains : les criminels aident des femmes à émigrer aux États-Unis pour ensuite les forcer à rembourser leurs dettes en se prostituant. Un de ces réseaux a été démantelé en 2024 dans le Tennessee. À Chicago et à New York, la police a lié le gang à de nombreux vols de portables, vol à l’étalage, trafic d’armes et trafic d’une drogue synthétique rose connue sous le nom de Tusi.
Ces dernières années, quatre homicides à Miami, à Chicago et dans le Colorado ont été imputés à des membres du gang. En 2024, les meurtres de Laken Riley et de Jocelyn Nungaray, une femme et une enfant tuées par des sans-papiers vénézuéliens, ont fait beaucoup de bruit. Même si les liens de leurs meurtriers avec ce gang n’ont pas été établis, leurs histoires ont été mises en avant par Trump pendant sa campagne présidentielle.
Le tatouage comme preuve d’appartenance
« Les autorités américaines prétendent que tous les migrants vénézuéliens qui commettent des crimes aux États-Unis sont des membres de Tren de Aragua, et aussi que tous les migrants vénézuéliens qui portent des tatouages sont des membres de ce gang. Des tatouages ‘papa’ et ‘maman’ avec des couronnes et des tatouages du club de foot Real Madrid ont suffi à envoyer deux personnes en prison », explique un politologue spécialiste de l’Amérique latine, qui préfère rester anonyme pour des questions de visa. « Contrairement à un gang comme MS-13, qui a une structure, une histoire et des codes communs, et dont la présence aux États-Unis est bien documentée, je ne vois pas de preuve qu’il y ait des cellules locales de Tren de Aragua aux États-Unis. »
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Pourtant, en 2024, Trump a utilisé la présence de criminels vénézuéliens à Aurora dans le Colorado pour faire de Tren de Aragua un thème majeur de sa campagne. L’été dernier, des membres présumés du gang ont pris le contrôle de trois complexes d’immeubles de la ville, imposant un système d’extorsion aux résidents immigrés qui y vivaient. Après qu’une vidéo de Vénézuéliens armés dans un couloir d’immeuble a été diffusée, Trump a commencé à évoquer le gang comme une menace existentielle, déclarant qu’Aurora était devenue une « zone de guerre », avant de faire un discours dans lequel il a promis de « sauver Aurora et toutes les villes qui ont été envahies et conquises ».
Le maire républicain de la ville a rétorqué que le diagnostic de Trump était « largement exagéré », mais cinq mois après, l’administration Trump a déclaré que Tren de Aragua était une organisation terroriste liée au gouvernement de Nicolás Maduro et que le gang avait « envahi les États-Unis ». Pour contrer cette « invasion », le président a invoqué une loi de guerre datant de 1798, qui lui permet d’expulser sans jugement toute personne soupçonnée de faire partie de ce gang. Afin d’en réduire les coûts, les détenus sont envoyés dans une prison au Salvador, où la détention coûte moins cher. Selon le décret du président, les membres de Tren de Aragua sont considérés comme des « ennemis étrangers », un statut utilisé pour la dernière fois pendant la deuxième guerre mondiale pour envoyer des Japonais et des Allemands dans des camps d’internement.
« C’est clairement un abus de la loi. On n’a pas affaire à des nazis qui sont faufilés dans des sous-marins pendant la 2nde guerre mondiale. De plus, il n’y a aucune preuve que tous ces Vénézuéliens envoyés en prison au Salvador étaient membres de ce gang » résume Charles Kuck, avocat spécialiste de l’immigration.
Mesure critiquée même chez les conservateurs
Même certains conservateurs critiquent ces mesures d’exception. Le podcasteur Joe Rogan, qui a soutenu Trump, a parlé de la situation « horrible » d’un coiffeur gay emprisonné au Salvador sans avoir été accusé d’aucun crime. L’économiste Daniel Di Martino, qui est pro-Trump et soutient l’idée d’expulser un maximum de sans-papiers, pense qu’appliquer une loi d’exception est une mauvaise idée.
« Il aurait été plus intelligent d’utiliser le système d’expulsion accéléré qui existe déjà pour les sans-papiers qui ont commis des crimes. Ce processus légal permettrait de s’assurer que les gens envoyés au Salvador sont vraiment des membres de Tren de Aragua. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’utiliser la loi sur les ennemis étrangers, car les autorités risquent d’expulser des gens à tort. »
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L’utilisation de cette loi a très vite été considérée comme illégale par un juge, mais plus de 250 Vénézuéliens soupçonnés de faire partie de ce gang sont actuellement incarcérés dans une prison du Salvador où les détenus n’ont pas le droit de voir leurs familles ni de se promener à l’air libre. Selon l’association de défense des libertés civiles ACLU, « il s’agit peut-être de la mesure la plus extrême prise par l’administration jusqu’à présent ».
Le processus légal normal aurait permis à Trump de mettre ces criminels hors d’état de nuire, mais l’important pour le gouvernement américain est de donner à voir la répression promise par le président. Or le transfert de ces hommes, mis en scène et diffusé sur les réseaux sociaux, est particulièrement spectaculaire. Le président du Salvador Nayib Bukele a posté sur X une vidéo des détenus arrivés à la prison, à genoux, enchaînés et le crâne rasé, sur fond de musique de film. La ministre de la Sécurité intérieure des États-Unis, Kristi Noem, a aussi fait le déplacement au Salvador, et a posté une vidéo devant une cellule où étaient entassés une cinquantaine de prisonniers torse nu. « Je veux que tout le monde sache », déclare-t-elle face à la caméra. « Si vous venez dans notre pays illégalement, ceci est une des conséquences auxquelles vous pourrez être confronté ».
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne