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Fronts multiples
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Le « combat de sa vie » était loin d’être le seul. À l’occasion de l’annonce officielle de la panthéonisation de Robert Badinter, « Marianne » rembobine ses autres luttes, qui résonnent avec des combats de retour dans l’actualité, des conditions de vie des détenus au détricotage constitutionnel d’une loi immigration.
Il est de ceux qu’on associe à une seule chose, que l’on nomme « le combat d’une vie ». Réduire Robert Badinter à la seule abolition de la peine de mort serait déjà tout à fait honorable, mais le militant a fait bien plus, et s’est tant illustré par ses discours historiques que par ses actes politiques concrets. À l’occasion de l’annonce de la date de sa panthéonisation – le 9 octobre 2025 –, Marianne revient sur quelques autres luttes de l’avocat devenu ministre, dont certaines qui sont encore des débats très actuels. De la fin du délit d’homosexualité à son passage contesté au Conseil constitutionnel, retour sur des combats alternatifs, mais loin d’être mineurs.
1982 : Suppression du délit d’homosexualité
« Il n’est que temps de prendre conscience de tout ce que la France doit aux homosexuels » : décembre 1981, le ministre de la Justice soutient, devant la représentation nationale, la proposition de loi de Raymond Forni pour supprimer le délit d’homosexualité. Il est alors un garde des Sceaux haï par la droite, et vient de faire passer, en septembre, l’abolition de la peine de mort. Huit mois plus tard, le texte présenté par une certaine Gisèle Halimi se voit voté par l’Assemblée nationale et promulgué.
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Cet engagement pour la liberté sexuelle a parfois été appelé « l’autre combat » de Robert Badinter, tant il a donné de sa personne, tout au long de sa vie. Ironie du sort, cette suppression de l’infraction d’homosexualité, votée en 1982, avait déjà été abolie près de deux siècles plutôt, en 1791, en pleine Révolution française. Mais lors de la Seconde guerre mondiale, le régime de Vichy, et sa vision sacrée de la famille, rétablissait l’interdiction.
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En février 2024, à la mort de l’ancien avocat, le sociologue spécialisé dans les questions de genre et de sexualité Régis Schlagdenhauffen écrivait dans Libération une tribune intitulée « Jusqu’à la fin de sa vie, Robert Badinter s’est engagé pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité ». Il y décrit une conversation avec l’ancien président du Conseil constitutionnel, qui permet de mieux comprendre le contexte de l’abolition de cette loi, dans une France des années 1980 où l’aveu de l’homosexualité amenait « opprobre social, honte, secret, ce à quoi s’ajoutait le risque d’une condamnation pénale et donc d’un procès, souvent relayé par la presse locale ». Il présente alors dans son hommage un Robert Badinter, véritable « avocat de la cause homosexuelle et LGBT », qui a pris la parole pour « celles et ceux qui n’osaient, ou ne pouvaient pas le faire ».
Amélioration des droits des détenus
Des « broyeuses d’hommes », voilà comment l’ancien avocat appelait les difficiles conditions de vie des lieux de détention qu’il a si souvent visités, en France et à travers le monde. Son parcours professionnel, puis politique et médiatique, a été marqué par un combat impopulaire pour l’amélioration des conditions de détention, et des droits des détenus. Au cœur de son engagement, une lutte acharnée contre les « peines inhumaines et dégradantes ». Par exemple : l’isolement prolongé.
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En 1982, il supprime par une circulaire les décriés « QHS », les quartiers de haute sécurité. Une idée en partie popularisée par le braqueur Jacques Mesrine, qui s’en était évadé avec son complice François Besse. Mais l’action publique de Badinter pour « humaniser » les lieux de détention va un petit peu plus loin, avec, notamment, la généralisation des parloirs sans séparation ou encore la proposition, en vain à l’époque, de la création de parloirs sexuels dans certaines prisons. Pas tout à fait anecdotique, il permet également un aménagement autonome des cellules, avec l’arrivée des télévisions, ainsi que la facilitation des coups de téléphone à des proches.
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À l’heure où l’on discute, sur initiative du prédécesseur de Gérald Darmanin, de mettre en place des prisons à la sécurité renforcée pour les narcotrafiquants, ces mesures d’amélioration des conditions de vie des détenues peuvent paraître désuètes, ou contre-productives. C’est oublier, en partie, la situation ultra-tendue d’alors, où la surpopulation carcérale en France faisait craindre un soulèvement. Robert Badinter et le président Mitterand étaient même allés jusqu’à user de la grâce présidentielle pour des milliers de détenus délinquants, principalement en fin de peine, ce qui leur avait valu un procès en laxisme de la part de la droite.
Un antiparlementaire au Conseil Constitutionnel ?
19 février 1986. François Mitterand accorde le graal républicain à son fidèle homme de droit : la présidence du Conseil constitutionnel. Un poste pas si tranquille, puisque l’homme de l’abolition va s’y retrouver sous un feu très nourri, principalement venu de la droite, mené par Charles Pasqua. Le 13 août 1993, le conseil des Sages rendait une décision historique, faisant écho à une histoire parlementaire toute récente.
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Cette année-là, Charles Pasqua était au sommet de sa gloire, Édouard Balladur était fermement installé à Matignon, et une nouvelle « loi Pasqua » sur l’immigration pointait le bout de son nez. Son but : rendre plus difficiles les conditions d’entrée en France au titre du regroupement familial et rendre plus difficile l’obtention du risque de séjour, mais aussi l’annulation du droit du sol automatique. Les jeunes de 16 à 21 ans qui souhaitaient devenir français après être nés sur le territoire de parents étrangers devaient manifester une « volonté » de devenir citoyens.
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Sauf que Robert Badinter y a mis son grain de sel humaniste, renforçant le contrôle de fait du Conseil constitutionnel sur les lois votées par la représentation nationale : après deux jours de délibérations, « les sages » annulent huit articles de la loi Immigration portée par le gaulliste et ses troupes. Cette décision de rendre inconstitutionnelles des réglementations sur l’immigration au nom du respect des libertés et droits fondamentaux n’a pas pris une ride. La loi Immigration votée à la fin décembre 2023 a été massivement détricotée en janvier 2024, avec la censure de 40 % de son contenu. Pas sûr que la décision du Conseil présidé par Robert Badinter serait très populaire aujourd’hui…
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne