Non au réarmement européen : le Mouvement 5 étoiles cherche à se relancer en surfant sur la tradition pacifiste italienne

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Non au réarmement européen : le Mouvement 5 étoiles cherche à se relancer en surfant sur la tradition pacifiste italienne




















Au fil des décennies, le drapeau “Pace” est devenu un symbole politique incontournable de la société italienne, accroché aux balcons ou brandi en manifestation, comme ce samedi 5 avril à Rome.
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Des dizaines de milliers d’Italiens sont descendus dans les rues de Rome samedi 5 avril pour dire « No » au plan de réarmement européen. Une position qui puise dans les imaginaires catholiques et communistes du « Bel Paese ». Et qui pourrait permettre au leader de la formation populiste du Mouvement cinq étoiles, Giuseppe Conte, de rebondir, après avoir fait moins de 10 % aux européennes de 2024.

Populaires depuis des décennies de l’autre côté des Alpes, les bannières arc-en-ciel floquées « Pace » (« paix », en italien), ont inondé les rues de Rome samedi dernier, le 5 avril. Pas moins de 100 000 personnes, selon les organisateurs, ont répondu à l’appel du Mouvement cinq étoiles pour se mobiliser contre la volonté de réarmement au niveau européen. Un chiffre à relativiser. Mais « cela fait longtemps qu’on n’a pas vu à gauche un cortège aussi grand », observe le journal Il Fatto quotidiano, proche des idées du mouvement populiste.

La cause ? Le plan dévoilé le 4 mars par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen pour augmenter les dépenses dans l’armement à hauteur de 800 milliards d’euros. Un projet contre lequel le dirigeant du Mouvement cinq étoiles et ex-président du Conseil italien Giuseppe Conte est vent debout : « Aujourd’hui, un “non” clair et net s’élève contre le gaspillage de 800 milliards d’euros pour réarmer l’Europe, une folie », a-t-il déclaré après la manifestation.

Grande tradition pacifiste

En France, ces derniers temps, l’emploi du mot « paix » se fait plus rare. Depuis le lâchage américain de l’Ukraine, les plateaux télévisés et éditorialistes de tout poil rivalisent d’idées pour financer l’industrie de défense. Après le « nous sommes en guerre » d’Emmanuel Macron en 2020 pour qualifier la lutte contre le coronavirus, pas un jour ne se passe sans que le champ sémantique de la guerre ne soit invoqué pour décrire les actualités les plus diverses, de la « guerre énergétique » à « l’économie de guerre », en passant par le « réarmement démographique ».

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En Italie, c’est l’inverse. Le mot « paix » est sur toutes les lèvres : 39 % des Italiens se déclarent opposés au plan bruxellois ReArm Europe, selon un sondage Ipsos du 15 mars. Quand 48 % des Français jugent « urgent de passer à 5 % du PIB de l’Union européenne investi dans la défense », ils ne sont que 19 % en Italie a exprimé la même opinion, très loin derrière tous les autres pays européens, selon le sondage de la revue Le Grand continent sur la défense européenne. Et 62 % des Italiens estiment qu’il faut privilégier d’autres dépenses, contre 34 % en moyenne en Europe.

« La très grande tradition pacifiste italienne est réactivée. Le mot-clé ici, c’est “paix”, alors qu’en France, c’est “guerre” », observe Marc Lazar, professeur à Sciences Po Paris et actuellement à Rome où il enseigne à la Luiss (Libera Università Internazionale degli Studi Sociali). Une discordance qui a quelque chose de schizophrénique pour les Européens habitués à traverser les Alpes. « Un ami franco-italien m’a confié que quand il est en France, il est tout feu tout flamme, et quand il rentre en Italie, il n’a que le mot paix à la bouche. Dans l’opinion politique générale, on ne respire pas le même air », raconte Xavier Tabet, professeur d’histoire italienne à l’Université Paris 8.

Investir dans le social à la place

Comment expliquer ce décalage d’un côté et de l’autre des Alpes ? Après la Seconde Guerre mondiale, la République italienne a voulu tourner la page du fascisme et de son bellicisme. L’article 11 de la Constitution de 1948 dispose que « l’Italie répudie la guerre ». Ce qui signifie à la fois qu’elle y renonce comme moyen d’imposer ses intérêts à des pays tiers, mais aussi qu’éthiquement, elle condamne le recours à celle-ci. Le pays est ensuite dirigé pendant des décennies par la droite chrétienne-démocrate, qui diffuse une forte culture pacifiste empreinte de catholicisme. « À partir des années quatre-vingt-dix, l’hégémonie des chrétiens-démocrates s’écroule, mais la culture antimilitariste reste profondément inscrite » dans le paysage italien, explique Xavier Tabet.

Le pacifisme mobilise tout autant les électeurs de gauche, dans un pays où « la culture communiste internationaliste a longtemps imprégné la société et les milieux intellectuels », décrypte Xavier Tabet. « L’héritage du Parti communiste italien a toujours été structurant. La paix était un de ses chevaux de bataille pendant la guerre froide, pour défendre l’URSS », complète Marc Lazar, pour qui « Giuseppe Conte exploite à fond cette fibre-là ».

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Son parti milite pour que les fonds soient plutôt investis dans l’État social, la santé et l’éducation. « Le discours de Giuseppe Conte est très habile, analyse Marc Lazar. Il sait que la priorité des Italiens est le pouvoir d’achat et la santé, d’autant plus que la population vieillit. Lier la lutte contre le réarmement à la question sociale, c’est banco en termes d’audience. Ça pourrait permettre au Mouvement cinq étoiles de réaliser une OPA sur les différents courants et sensibilités du mouvement pacifiste. »

Tremplin politique ?

Le leader du Mouvement Cinq étoiles exploite également la fibre anti-bruxelloise d’une partie de ses compatriotes. « L’UE belliciste nous fait horreur. Elle risque de nous mener à la guerre », attaque Giuseppe Conte dans une interview au quotidien de centre droit Corriere della Sera, en ajoutant : « Ursula von der Leyen prend une grave responsabilité, en évitant de surcroît le vote du Parlement européen ». « Les Italiens sont traditionnellement très europhiles, l’Europe étant perçue comme une garantie contre le retour du fascisme. Mais la critique de l’UE revient en force dans la culture du Mouvement cinq étoiles et des partis nationalistes », observe Xavier Tabet.

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Au bout du compte, la stratégie pourrait se révéler payante dans les urnes. C’est ce que dit en tout cas un récent sondage d’Ipsos, qui crédite le Mouvement cinq étoiles à 13,8 % d’intention de vote, soit une progression de 0,6 % entre février et mars. « L’opposition politique claire contre le plan Rearm EU depuis deux mois a porté des fruits considérables », observe le PDG d’Ipsos Italie, Nando Pagnoncelli auprès du Corriere. Le signe d’une lassitude après trois ans de guerre en Ukraine, qui pourrait s’étendre à d’autres pays en Europe ?


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