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Nuits blanches
Par Alice Le Jan
Publié le
Un Français sur cinq souffre d’insomnie et neuf millions d’entre eux consomment des benzodiazépines. Or, ces gélules, qui agissent sur l’anxiété et l’insomnie, sont consommées trop fréquemment et trop longtemps, selon l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM). D’après les insomniaques interrogés par « Marianne », l’absence de sommeil est un combat dans lequel ces pilules représentent une béquille… empoisonnée.
« Les médicaments contre l’insomnie, c’est pour quelques nuits. La lecture, c’est autant qu’on veut. » Ce slogan, issue d’une campagne de sensibilisation de l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM), s’adresse aux neuf millions de consommateurs de benzodiazépines. Ces médicaments, qui agissent sur l’anxiété et l’insomnie, ne doivent pas être utilisés plus de trois mois pour les anxiolytiques et pas plus de trois semaines pour les somnifères. Une posologie trop peu respectée, selon l’ANSM.
Murielle, documentaliste dans un lycée, fait partie de ces usagers. « J’ai toujours été insomniaque, explique-t-elle. Mon médecin m’a prescrit des somnifères, ça m’aide tellement que c’est comme des bonbons. Dès que je n’en ai plus, je suis en sevrage. » Comme elle, 20 % des Français souffrent d’insomnies. Celles-ci prennent la forme de difficultés à l’endormissement, de nuits hachées ou encore de sommeil non réparateur. Si tout un chacun peut être sujet à une nuit blanche en raison d’une anxiété passagère, certains mènent un combat de longue date contre le mauvais sommeil ou son absence.
Pathologie complexe
Les causes d’une telle pathologie, recensées sur le site de l’Assurance-maladie, sont bien connues : le stress, l’anxiété et la dépression dans la majorité des cas, accompagnés dans certains cas de traumatismes, prédispositions génétiques, maladies (telles que l’hyperthyroïdie et l’apnée du sommeil) ainsi qu’un environnement et des habitudes de vie défavorables à l’endormissement. Face à cette situation, les insomniaques sont inégaux face aux solutions potentielles. C’est le cas d’Hugues, informaticien : « Ça fait 40 ans que je fais des insomnies. J’ai tout tenté : thérapie comportementale, hypnose, reiki, yoga, sophrologie… Rien n’y fait. La journée, je suis stressé et anxieux. C’est une spirale infernale qui s’alimente d’elle-même. »
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Lorsque l’insomnie survient trois fois par semaine durant trois mois ou plus, on dit qu’elle est chronique. À l’origine, se cache souvent une histoire de vie difficile. Marc, jeune retraité, témoigne : « Je suis un ancien toxico et alcoolique. En 1997, j’ai tout arrêté et j’ai (re) commencé à faire des insomnies. Je me réveillais dix fois par nuit. Seuls la consommation de cannabis et l’arrêt de l’alcool et du café m’aident. Tout est lié à une enfance difficile. » Sylvie, insomniaque depuis toujours et consommatrice de somnifères partage cette observation : « C’est un cumul d’histoires. Les souvenirs restent, ou plutôt, les traumatismes. »
Les conséquences d’une telle absence de sommeil sont, elles aussi, bien connues : somnolence, trouble de l’attention, perturbation de l’humeur, risques accrus d’accidents et de développement de maladies en tout genre. Murielle évoque ainsi ses difficultés au travail : « Je ne suis pas du tout dans le coup. Je n’arrive pas à me concentrer. Je fais tomber des objets et je suis plus irritable avec les élèves qui font du bruit. » Les travailleurs ne sont pas les seuls à éprouver des difficultés dans leur quotidien. Jacques, à la retraite, en est l’exemple : « Je ne travaille plus mais j’ai aussi des obligations. Après 4-5 heures de sommeil, je réapparais, je ne peux pas être exclu de la société. C’est extrêmement frustrant et angoissant. »
Les somnifères, des béquilles
C’est là qu’interviennent les fameuses benzodiazépines. Vingt médicaments de ce type sont commercialisés en France depuis les années 1960. La Haute autorité de santé (HAS) estime que la France « demeure le premier pays consommateur de somnifères, avec une consommation 3 à 5 fois plus importante que ses voisins européens ». Concernant ses usagers, les médecins en prescrivent pour moitié aux plus de 65 ans, suivis des moins de 25 ans. Somnifères comme anxiolytiques agissent comme des béquilles dont il est parfois difficile de se passer.
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Les professionnels de la santé ne font pas figure d’exception. Sylvie, dentiste, incarne cette dépendance physique et psychologique. « Je prends des somnifères depuis 40 ans, raconte-t-elle. Les médecins ont commencé à le couper avec de la mélatonine pour me sevrer petit à petit, mais je n’arrive pas à m’en passer totalement. » Outre le risque de perte d’équilibre et de mémoire, l’abus de ces gélules peut entraîner le coma, des convulsions ou encore le développement de maladies comme Alzheimer. À ce sujet, la quinquagénaire réagit : « Je connais les risques pour le cerveau, mais quand on a connu la vraie insomnie, on s’en fiche. Le manque de sommeil rend fou, il vaut mieux les médicaments et risquer une maladie. »
L’insomnie étant liée à l’anxiété, il est par ailleurs courant d’associer les somnifères aux anxiolytiques et d’autres comportements nocifs tels que l’abus d’alcool. Ce qui rend d’autant plus difficile le sevrage. Jacques l’illustre : « Je jongle entre tous ces paramètres : les anxiolytiques, l’alcool, une solitude profonde et la lecture qui me fait du bien mais me réveille davantage. C’est un entrelacs de tous ces phénomènes et problèmes. »
Quels remèdes ?
Il existe pourtant des solutions alternatives : magnésium, mélatonine, sport, méditation et suivi psychologique pour ne citer qu’eux. La méthode réputée la plus efficace, selon plusieurs praticiens, reste la thérapie cognitive comportementale (TCC) : elle serait efficace dans 70 à 80 % des cas chez les individus ayant une insomnie chronique, d’après le Réseau Morphée, consacré à la prise en charge des troubles du sommeil. L’objectif ? « Comprendre le mécanisme du sommeil et son propre fonctionnement », d’après Maxime, professeur d’histoire-géographie, qui suit une TCC depuis deux mois pour soigner ses insomnies hebdomadaires. Il raconte à Marianne : « Cette thérapie vise à changer notre système de croyance et de comportement. On fait un travail d’analyse de nos pensées et de notre stress pour prendre de la distance et dédramatiser ».
Pour commencer, l’enseignant a rempli un « agenda » pendant un mois, dans lequel il notait ses heures de couchers, de réveils nocturnes et de levers afin d’identifier « les récurrences et le niveau de gravité ». Il a ensuite rejoint un groupe d’échanges à distance. À quatre, ils discutent de leurs difficultés et partagent leurs solutions. Outre la connaissance de soi, l’hygiène de sommeil et la discipline sont au cœur de ce processus. Maxime complète : « La première chose qu’on nous apprend est qu’il est très important d’avoir les mêmes heures de coucher et de lever. Le week-end aussi : maximum une heure de décalage. C’est très exigeant, ça demande un réel engagement, de la discipline et du temps. »
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De telles contraintes en rebutent plus d’un. C’est pourquoi certains tentent d’autres moyens de se soigner. Après avoir démarré et arrêté plusieurs formes de thérapies, Jacques persévère : « Je viens de rejoindre un centre médico-psychologique. » Le principe ? Il s’agit d’un centre de soin public qui regroupe des soignants (psychiatres, psychologues, infirmiers) et des professionnels du social. Si les solutions ne manquent pas, l’insomnie représente un parcours de toute une vie pour certains. Une fois la cause « originelle » traitée, une seconde s’ajoute : l’anticipation de l’absence de sommeil. À ce sujet, Thibault, enseignant et insomniaque depuis ses 18 ans, confie : « J’angoisse de ne pas dormir et d’être fatigué le lendemain donc je ne dors pas. D’après ma psy, c’est le problème le plus difficile à résoudre. »
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne