Avec le nouveau passage du cyclone Trump à la Maison-Blanche pour les 4 prochaines années, L’Europe est dans la tourmente, même si elle aurait pu anticiper tout ce qui est en train de se passer. Car quand Trump dit, il le fait. Ce qu’elle a le mieux réussi jusque maintenant, c’est-à-dire sa puissance économique, est en péril si aucun accord sérieux n’est trouvé d’ici 90 jours pour empêcher le couperet de droits de douane violents aux exportations vers le nouveau continent.
Après s’être fermé à la Russie depuis le début de la guerre contre l’Ukraine, après avoir envisagé de sérieuses mesures drastiques contre la Chine et ses produits, là-voilà au pied du mur avec une Amérique trumpiste qui veut lui faire payer son déficit commercial abyssal. Tout cela révèle, s’il y avait besoin à nouveau, l’hyperdépendance européenne au marché outre-Atlantique et les limites que la politique européenne moraliste est prête encore à fixer à l’égard de certains pays autoritaires ou peu soucieux du droit international et des valeurs humanistes du vieux continent.
Dernier fait en date : voilà qu’Ursula Van der Leyen semble avoir découvert le « veau d’or », après que Trump ait mis sur pause ses menaces de taxes, en annonçant prochainement un accord de libre-échange avec les Émirats arabes unis. L’Union européenne, comme tous les pays concernés par les mesures américaines, sait qu’elle doit démultiplier le risque en diversifiant ses exportations en cas de nouveau pépin politique. Seulement, si Moscou et Pékin n’ont pas les faveurs de celle-ci depuis des années, c’est notamment pour des raisons politiques et diplomatiques. La Russie est sous sanctions, et la Chine fait l’objet de plusieurs enquêtes, notamment pour concurrence déloyale. La bataille était rude pour punir Pékin depuis quelques semaines au sein de la Commission européenne et faisait débat.
En cherchant par tous les moyens notre indépendance, nous risquons de sérieuses erreurs stratégiques et politiques : il y a deux mois, Emmanuel Macron annonçait lors du sommet sur l’IA à Paris, l’investissement record des Émirats arabes unis dans la construction d’un gigantesque database pour stocker nos données. Problème : les EAU sont aussi bons en informatique qu’en cyberhacking et en espionnage.
On sait depuis des années qu’Abu Dhabi vend du rêve, avec la ville de Dubaï, avec les influenceurs du monde entier venus fouler le sable chaud du Golfe, mais que dans le même temps, elle mène des guerres terribles contre ses ennemis en Libye, au Soudan, au Yémen, contourne les sanctions internationales contre le régime de Bachar Al Assad pendant une décennie, et fait appel à des enfants soldats soudanais pour les redéployer dans ses milices de mercenaires sur les fronts qu’elle a ouverts ou entretenus ! Il y a le côté pile des EAU, pays de loisirs, de tolérance, d’évasion, de culture, d’éducation, mais aussi le côté face, avec la prostitution, la drogue, et le blanchiment d’argent tout comme l’accueil de vieilles gloires et dictateurs déchus du monde entier (avec leurs capitaux de préférence). La confédération émiratie est un paradis fiscal qui a été épinglé plusieurs fois sur la liste noire européenne des pays à haut risque de blanchiment.
Est-ce que, quand bien même le contexte actuel, on doit signer un tel accord de libre-échange avec Mohamed Ben Zayed, blanchissant aussi le pays de toute accusation de violations régulières du droit international ? Dernièrement, plusieurs ONG internationales se faisaient l’écho de soupçons de complicité de génocide des Émirats au Soudan par le pouvoir en place. C’est ce pays-là qui est soupçonné par le Président Al-Buhran d’attiser la haine et de soutenir les milices paramilitaires de son ennemi et ancien numéro deux du conseil de souveraineté, Mohamed Hamdan Daglo.
C’est ce pays dont on oublie trop souvent le rôle pernicieux de leader de l’axe des sécessionnistes en Afrique et au Moyen-Orient. De la Libye au Yémen, en passant par la Somalie et le Soudan, les Émiratis cherchent depuis des années à renverser des régimes qui ne leur conviennent pas et ce, par tous les moyens. L’Europe, qui passe son temps à distribuer les bons points, et à juger de ses relations avec les pays au regard du droit international et des droits humains, est-elle prête vraiment à signer un tel blanc-seing aux Émirats ? Mohamed Ben Zayed ne pouvait rêver mieux pour poursuivre sa conquête des esprits européens, mais aussi de leurs portemonnaies. En réalité, cela fait beaucoup d’interrogations pour pas grand-chose : ce n’est pas Abu Dhabi qui compensera la chute des exportations européennes aux États-Unis. Cela vaut donc le coup d’y réfléchir à deux fois avant de se jeter dans la gueule du loup.
(*) Docteur en sciences politiques, chercheur en géopolitique, collaborateur scientifique du CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense), de l’Observatoire Geopolitique de Geneve et Directeur de l’IGE (Institut Géopolitique Européen). Auteur de « Donald Trump retour vers le futur », Mareuil éditions. Merci et bonne nuit
Sébastien Boussois