Le chiffre a finalement été lâché. Interrogé par BFM TV, ce dimanche 13 avril, le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a indiqué qu’il va falloir réaliser « un effort supplémentaire de 40 milliards d’euros » en 2026 pour tenir la trajectoire des finances publiques fixée par le gouvernement : ramener le déficit à 4,6 %, soit un effort de 0,8 point de PIB.
Et le locataire de Bercy a d’ores et déjà annoncé : « Ça va être essentiellement des économies », qui reposeront en grande partie sur l’État, la Sécurité sociale et les collectivités locales. En parallèle, le dispositif voté en loi de finances pour 2025 contre la suroptimisation fiscale – appelé Contribution différentielle sur les hauts revenus – qui ne devait s’appliquer qu’en 2025 devrait être pérennisé. Mais le ministre de l’économie a exclu d’augmenter les impôts des classes moyennes et populaires.
Autant d’annonces qui pourraient être confirmées ce mardi, à l’occasion d’une grande conférence sur les finances publiques présidée par le Premier ministre François Bayrou et sur lesquelles Laurent Bach, économiste et professeur à l’ESSEC, revient pour La Tribune.
La Tribune : Le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a annoncé, dimanche, que l’Hexagone devra fournir un effort supplémentaire de 40 milliards d’euros en 2026 pour rester dans les clous de sa trajectoire budgétaire. Comment comprendre ce chiffre ?
Laurent Bach : Si on fait le calcul, le PIB aujourd’hui de la France est d’environ 3 000 milliards d’euros, cela représente donc un effort d’un peu moins de 1,5 point de PIB. Avec une telle cible et alors que la croissance va être assez faible cette année [prévue à 0,7 % par l’exécutif], cela implique une baisse réelle de la dépense publique. Souvenez-vous qu’entre 2011 et 2016, l’épisode de consolidation budgétaire s’était traduit dans l’Hexagone par un effort de 3 points de PIB sur 5 ans. L’effort demandé serait donc plus douloureux que ce qui a été fait il y a dix ans. Et sachant qu’on ne sait pas ce qu’il en sera pour les années suivantes…
Malgré tout, un tel effort n’a rien à voir ce qu’un pays comme la Grèce a pu réaliser par exemple. Entre 2010 et 2013, l’épisode de consolidation budgétaire avait atteint 17 points de PIB.
Selon le gouvernement, les économies devraient être partagées entre l’État, les collectivités locales et la Sécurité sociale. Comment arbitrer entre ces trois pôles ?
En tant que scientifique, je pense qu’il faut s’attaquer aux mesures qui ont le rapport coût/bénéfice le moins positif. Et il n’y a pas de raison de penser qu’a priori un des pôles gâcherait plus d’argent public qu’un autre. En revanche, il existe une contrainte politique évidente : traditionnellement les gouvernements ont plus la main sur l’État. Pour la Sécurité sociale, c’est moins le cas. Les dépenses de l’Assurance maladie restent un objectif (Ondam) qui est plus difficile à contrôler. Et concernant les collectivités locales, il y a le principe de libre administration. De fait, il y a une tendance des dirigeants à interroger en premier les dépenses de l’État.
À mon sens, il n’y a pas tant un problème d’efficience que de lisibilité de la dépense publique. Est-ce que, dans le débat public, les citoyens sont au courant des objectifs poursuivis par les dépenses et les recettes ? Y a-t-il une bonne compréhension, par exemple, dans le budget 2025 des dépenses concernant la défense ou la santé ? Aujourd’hui encore, on a finalement une vision assez frustre de comment l’argent est dépensé. La lisibilité de la dépense publique gagnerait à être améliorée.
Le gouvernement entend pérenniser après 2025 un dispositif contre la suroptimisation fiscale. De quelle manière l’optimisation fiscale profite-t-elle aux foyers les plus aisés ?
Il faut comprendre que les gens qui ont les revenus les plus importants ne les font pas figurer sur leur feuille d’impôt. Comment ? Parce qu’ils logent la plupart de leurs revenus dans des véhicules intermédiaires (holding) situés entre l’activité de leur société et leur compte en banque personnel. Et tant qu’ils ne se distribuent pas ces revenus, ils ne paient pas d’impôts dessus. Ce qui leur donne des taux effectifs d’imposition qui sont plus bas que les ménages qui n’ont pas cette possibilité.
Concrètement, les 75 ménages les plus riches de France paient environ 25 % de taux effectif d’imposition. Alors que le groupe des 40 000 personnes les plus riches paie environ 45 % d’imposition directe. Ce décalage existe et ne se résorbe pas car, tout en haut de la distribution, beaucoup de ces revenus ne seront jamais distribués. Et quand ils seront transmis à la génération suivante, les plus aisés pourront utiliser des mécanismes de réduction d’impôt (Pacte Dutreil, abattement en ligne directe, etc.).
Concernant la pérennisation d’un mécanisme contre la suroptimisation fiscale, si l’exécutif vise le rendement, il devra viser une assiette large d’imposition. À défaut, ce dispositif pourrait avoir un objectif différent : convaincre la population qu’aucun contribuable n’échappe à la justice fiscale.
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Jean-Victor Semeraro