À quoi ressemblera la politique agricole commune (PAC) de demain ? Alors que l’actuelle politique agricole commune, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, prendra fin en 2027, le ministère de l’Agriculture planche d’ores et déjà sur la copie qu’il devra rendre à l’Europe en vue de la prochaine PAC.
Pour cela, la ministre, Annie Genevard, organisait, ce mardi, une conférence réunissant les organisations professionnelles agricoles mais aussi des ONG et des représentants des États membres de l’Union européenne… Entre 150 et 200 personnes étaient ainsi attendues pour échanger sur les priorités, les enjeux et les perspectives pour la prochaine réforme de la PAC (2028-2034).
Des aides pour les agriculteurs« qui en ont le plus besoin »
À commencer par un sujet brûlant : le budget qui faisait l’objet d’une table ronde mais aussi, et surtout, de nombreuses inquiétudes ces dernières semaines. La principale organisation agricole, la FNSEA, alertait le 24 février dernier dans un communiqué au sujet des « premières orientations sur le futur budget européen post 2027, publiées par la Commission européenne, [qui] suscitent de fortes inquiétudes quant à l’impact sur le budget de la PAC, et surtout de gros doutes quant à la véritable ambition de la Commission en matière de production agricole ».
De quoi raviver la crainte d’une nouvelle crise du monde agricole comme celle vécue dans plusieurs États membre de l’Union européenne, dont la France, en 2024. « La crise n’est pas terminée. Si la Commission affiche un budget qui ne répond pas aux attentes des agriculteurs, les braises pourraient se rallumer », alerte, en effet, Thierry Pouch, chef économiste à Chambre d’agriculture France.
D’autant plus qu’un récent rapport, remis à la Commission européenne, plaide pour recentrer les aides vers les agriculteurs « qui en ont le plus besoin ». Des inquiétudes que le nouveau commissaire européen à l’Agriculture, Christophe Hansen, a tenté d’apaiser en février dernier, assurant que toutes les exploitations soutenues par la PAC « continueront à avoir des aides. C’est dans les traités, mais c’est aussi les lignes politiques de la présidente [Ursula von der Leyen] elle-même qui a dit qu’on aura toujours besoin d’un soutien fort à l’agriculture ».
Il a toutefois précisé que l’Union européenne entendait aussi « mieux cibler » les aides avec une « priorité » en direction des jeunes. « On doit davantage aider les jeunes agriculteurs et agricultrices à entrer dans cette profession, parce qu’effectivement, on voit qu’il y a un manque de jeunes qui reprennent des fermes. On a moins de 12 % des agriculteurs qui ont moins de 40 ans », a-t-il justifié. « Le tout dépendra de l’enveloppe globale du futur budget européen », a-t-il conclu.
Concurrence de la défense
Or, la part de cette enveloppe globale allouée à l’agriculture pourrait souffrir des priorités récemment affichées par l’Europe. Cette dernière doit se réarmer face à la menace russe et aux incertitudes quant à l’engagement américain envers le Vieux Continent. Comme l’annonçait Ursula von der Leyen, le mois dernier, celle-ci a l’ambition de mobiliser 800 milliards d’euros pour structurer la défense européenne, d’ici à 2030. Or, actuellement, la politique agricole commune représente le premier poste du budget de l’UE, avec 387 milliards d’euros sur sept ans (2021-2027) dont 270 milliards d’aides directes.
« Soit l’Europe va considérablement augmenter son budget général du fait des enjeux géopolitique, mais un certain nombre d’États s’y sont opposés, dont l’Allemagne, soit il va falloir dégrossir certaines enveloppes pour financer ces dépenses d’armement », prédit, en effet, Thierry Pouch. Mais du côté du ministère de l’Agriculture, pas question d’« opposer la sécurité alimentaire et la défense, bien au contraire ! Garantir notre souveraineté alimentaire, c’est contribuer à notre défense et c’est réduire notre vulnérabilité », a répliqué la ministre de l’Agriculture dans un entretien aux Échos, ce mardi.
Pas de renationalisation des aides, pour la France
Cette dernière s’est également opposée à toute idée de renationalisation des aides de la PAC. L’idée a, en effet, été évoquée à Bruxelles d’un rassemblement de certaines aides de différents secteurs, dont les aides de la PAC, avec une répartition « laissée à la main des États ». Une telle décision reviendrait à « déléguer à chaque pays le soin de répartir les crédits de la PAC à son bon vouloir, au gré de ses arbitrages au sein du fonds européen », selon Annie Genevard. Or, « il faut absolument que le budget de la politique agricole commune soit sanctuarisé et qu’il reste un budget à part dans le budget européen. C’est la raison pour laquelle nous nous opposons à toute forme de renationalisation », a-t-elle affirmé.
Une solution qui ne serait que le prolongement de la PAC actuelle, souligne néanmoins Thierry Pouch qui rappelle que celle-ci « comprenait des plans stratégiques nationaux ». « L’UE a fixé un cadre à l’intérieur duquel chaque État membre a lui-même fixé une stratégie nationale qui pouvait être très différente d’un pays à un autre », explique-t-il, détaillant : « Certains ont mis accent sur l’orientation environnementale, d’autres sur la production ». Un système qui « illustre la volonté de certains États membre d’être un peu plus autonomes comme la Pologne ».
Autant de points sur lesquels la France tentera d’influer lors des échanges à l’échelle européenne. Et pour l’économiste, elle possède un argument de poids : celui d’être la première puissance agricole de l’UE. « L’Union européenne a récemment dit que l’agriculture devrait redevenir une priorité stratégique. Or, je ne vois pas comment cela pourrait être le cas dans un budget adéquat. Il y a non seulement la question de la crise agricole, du renouvellement des actifs, mais aussi le contexte international. L’UE doit en prendre conscience et des États comme la France devraient être en pointe sur ce sujet », estime-t-il. En attendant, à charge pour le ministère de l’Agriculture de parvenir à un consensus parmi toutes les parties prenantes.
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