© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Français
On est allé voir
Par Armelle Héliot
Publié le
Dans l’enceinte de l’institution parisienne, Elsa Granat met en scène la célèbre pièce de Tchekhov en ajoutant, inutilement, scènes d’ouverture et de conclusion. Mais l’essentiel est là, porté par des interprètes exceptionnels.
Pourquoi « une » mouette plutôt que La Mouette ? Parce qu’Elsa Granat, comme elle le fait souvent avec des ouvrages très connus, tels le Roi Lear de Shakespeare ou Maison de poupée d’Ibsen, ne craint jamais de traiter les chefs-d’œuvre comme des matériaux que l’on peut triturer, malaxer, transformer. Elle pense ainsi les rapprocher de nous, les faire parler du présent, tout en interrogeant les héritages de ces grands textes.
Comédienne à forte présence, cette quadragénaire a fondé sa propre compagnie il y a une dizaine d’années et ne cesse de travailler, jouant, mais montant, surtout, de nombreux spectacles. Sur la scène prestigieuse de la salle Richelieu, elle propose donc Une mouette, ouvrant la représentation par une longue partie d’une demi-heure. Composée par ses soins, ce serait la jeunesse d’Arkadina, comédienne, de son fils, Tréplev et d’autres personnages encore, dont un régisseur et une costumière. Une plongée ténébreuse dans le passé.
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A la fin, elle ajoute aussi une scène, comme si Arkadina, consciente du suicide de son fils unique, prenait la parole. Alors que la fin déchirante de La Mouette est sèche comme le coup de feu qui vient de claquer. Il faut éloigner la mère, son fils s’est tué.
Tout ne sera que ruines à la fin
Ceux qui n’auraient jamais assisté à une représentation de La Mouette auront pourtant droit aux quatre actes, dans la belle traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan et retrouveront le groupe de personnages si attachants, imaginés par Anton Tchekhov. La nature, ici, consiste en de grands rideaux peints que l’on traverse…comme au théâtre, et, à la fin, on aperçoit le lac, gris et lugubre, au-delà d’une grande verrière. Tout s’est joué là. Kostia (Julien Frison), le fils d’Arkadina, comédienne célèbre (Marina Hands), a écrit un poème dramatique que joue la jeune Nina, Adeline d’Hermy, celle qui s’identifie à la mouette tuée. Le petit théâtre de plein air ne sera plus que ruine, à la fin, et tout le monde aura souffert, tandis que le cynique Trigorine, l’écrivain à succès, amant d’Arkadina, aura vécu sa vie.
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La musique, très variée, souligne toutes les scènes puissantes, de Janis Joplin à Wagner. Elsa Granat s’appuie sur des interprètes magnifiques. Saluons Dominique Parent, régisseur du domaine, Birana Ba, le maître d’école, Bakary Sangaré, formidable frère de la grande comédienne, douloureux et fier, Nicolas Lormeau, le docteur Dorn, lucide et solitaire. Loïc Corbery offre à l’égoïste Trigorine son art précis, sa subtilité, son charme. Julien Frison, Tréplev (Kostia) est remarquable. Juste et profond du tout début à la fin.
Citons à part les femmes car Elsa Granat leur demande une sorte d’hystérisation des partitions. Elles crient, elles pleurent, elles ploient, mais se relèvent. Julie Sicard est Macha, celle qui est en deuil de sa vie, l’amie d’enfance de Kostia. Une grande comédienne. Mal fagotée, au début (comme s’il fallait la rajeunir…).
Quelques ellipses inutiles
Souveraine, audacieuse, d’une beauté solaire, Marina Hands, dans le droit fil d’une saison exceptionnelle, voix mélodieuse, harmonie de tout l’être, impose une Arkadina dont on devine les failles. Nina, c’est une bouleversante Adeline d’Hermy. Vraie, vulnérable mouette. Déchirée, déchirante, ses cris, ses larmes, sa crise de nerfs, nous criblent.
On sort de là très remué, admiratif de l’effervescence de la troupe, oublieux de la première scène, peu compréhensible, voire inutile, et d’ellipses incompréhensibles, comme lorsque sa mère refait son pansement à Kostia, scène éloquente, mais ici mal taillée.
***
A Paris, au Palais-Royal, Comédie Française, salle Richelieu, à 20h30 en semaine, dimanche à 15h, en alternance, jusqu’au 15 juillet 2025. Durée : 2h30. www.comedie-francaise.fr
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne