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L’édito d’Ève Szeftel
Par Eve Szeftel
Publié le
Délocalisations, rachats d’usines, déferlement de produits subventionnés : la France semble impuissante face à une mondialisation menée tambour battant par la Chine. Tandis que l’industrie française souffre, le gouvernement accompagne, promet, mais agit peu. Et si, pour une fois, l’exemple venait d’outre-Manche ?, s’interroge Ève Szeftel, directrice de la rédaction de « Marianne ».
Trois images de la mondialisation : ces immenses parkings où s’alignent des milliers de voitures électriques made in China en attente d’être exportées vers l’Europe. Le grand bazar, près de chez moi, rideau métallique définitivement baissé, victime d’Amazon et de Temu, son équivalent chinois. Et le visage défait de Christophe Ferrari, le maire du Pont-de-Claix, près de Grenoble, après l’annonce de la cession de l’usine Vencorex au chinois Wanhua, qui ne gardera qu’une cinquantaine d’emplois sur 450 : « C’est un monde à l’envers. Nous marchons sur la tête. Il n’y aura plus aucun discours crédible en matière de réindustrialisation de la France. En tout cas, je n’en croirai aucun. »
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Et pour cause, le gouvernement a beau dire que la vente de Vencorex, sous-traitant pour la dissuasion nucléaire française, ne pose « aucun problème de souveraineté », des solutions ayant été trouvées pour sécuriser l’approvisionnement en sel et en chlore de Framatome et d’ArianeGroup, le doute est permis. D’abord, parce que Vencorex était très intégré dans l’écosystème chimique local, et que sa fermeture fragilise tout le tissu productif, en amont et en aval. C’est donc une très mauvaise nouvelle, une de plus, pour le secteur de la chimie français.
Ensuite, parce que la France se leurre sur la stratégie de la Chine, qui cherche moins à racheter des usines qu’à établir une « base d’entrée » sur les marchés français et européens pour y écouler… ses propres produits, archi-subventionnés. Ce qui est vrai pour la chimie l’est aussi pour la filière automobile française, au bord de l’effondrement. Michelin, Valeo, la Fonderie de Bretagne, un sous-traitant de Renault : des dizaines de plans sociaux ont été annoncés ces derniers mois, et la Fédération des industries des équipements pour véhicules estime que 45 000 emplois sont menacés dans les trois ans à venir. Les espoirs de réindustrialisation des années post-Covid sont retombés.
Et les surtaxes de 145 % annoncées par Donald Trump, cette muraille de Chine douanière qu’il cherche à ériger pour protéger les États-Unis, ne vont rien arranger. Au contraire, victime collatérale du bras de fer Washington-Pékin, l’Europe, et la France en son sein, risque de devenir le débouché privilégié de millions de tonnes de marchandises déroutées des États-Unis.
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La brèche est déjà bien ouverte : en 2024, la marque chinoise d’ultra fast-fashion Shein est devenue l’enseigne préférée des Français, dans laquelle ils ont le plus dépensé, à hauteur de 3 milliards d’euros. Shein, qui a recruté, pour piloter sa stratégie « RSE » (responsabilité sociale et environnementale), l’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner. Mais de qui se moque-ton ? Temu, la plate-forme d’e-commerce qui vend de tout, n’est pas en reste, qui a gagné 1,8 milliard d’euros grâce aux acheteurs français et se hisse sur la deuxième marche du podium.
Au moins l’industrie textile française n’est-elle pas menacée, puisqu’elle n’existe plus. Même des marques plus haut de gamme comme Sandro, Claudie Pierlot et Maje, qui ont poussé dans le Sentier, sont passées indirectement sous pavillon chinois. De fait, l’empire du Milieu est déjà en terrain conquis dans l’Hexagone : après une partie du port du Havre et des vignobles, les industriels chinois rachètent à tour de bras des parcelles de forêt. Ils raffolent en particulier de notre chêne… qui reviendra chez nous sous la forme de meubles made in China.
Christophe Ferrari a raison : on marche sur la tête. Pis, nous sommes pris au piège de ce système pervers dans lequel l’effondrement de l’emploi industriel, et donc des revenus, lié à la délocalisation des usines, est compensé par des gains de pouvoir d’achat liés à la baisse des prix des produits importés, rendue possible par ce même transfert de la production. Au moins, le chômeur ou le smicard peut se consoler… en consommant.
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D’ailleurs, interrogé sur le refus de l’État de nationaliser temporairement Vencorex, le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a déclaré que ce n’était pas « envisageable », mais il a promis que l’État se tiendrait aux côtés des salariés pour les « accompagner » et les aider à se reclasser. En 1999, le Premier ministre, Lionel Jospin, assumait l’impuissance publique à empêcher la réduction d’e ectifs chez Michelin en prononçant cette fameuse phrase : « L’État ne peut pas tout. » Vingt-cinq ans plus tard, l’État semble s’être résigné à un rôle encore plus marginal, celui d’« accompagner » les chômeurs, telle une super assistante sociale.
Heureusement, une autre voie est possible. Et, une fois n’est pas coutume, ce sont les Britanniques qui donnent l’exemple. Pour empêcher les derniers hauts-fourneaux du pays d’être vendus à un fonds chinois, le Parlement, parti en vacances, a été rappelé en urgence pour voter, samedi 12 avril, la nationalisation de British Steel. Une décision que l’on doit au Premier ministre travailliste, Keir Starmer, adepte d’un « travaillisme en col bleu » (« Blue Labor »), seul à même, selon lui, de battre l’extrême droite sur son propre terrain : celui des usines. Une leçon pour le Parti socialiste français, à l’approche de son congrès ?
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne