Microsoft, Meta, Apple, Uber… : l’immense majorité de la technologie utilisée quotidiennement par les Européens est américaine. Mais face à un Donald Trump de plus en plus imprévisible, les appels se multiplient pour que le continent muscle sa souveraineté technologique. Cette dépendance stratégique est particulièrement remise en question depuis le retour du tempétueux républicain au pouvoir et ses menaces tous azimuts sur le Groenland, les droits de douane ou l’Ukraine. Et la proximité affichée de certains patrons de la tech avec le président américain.
L’inquiétude réside dans la possibilité que Washington instrumentalise sa suprématie technologique comme moyen de pression dans son différend avec Bruxelles, advenant une détérioration supplémentaire des relations transatlantiques, déjà fortement dégradées. « Nous devons développer nos propres capacités technologiques », a exhorté la commissaire européenne Henna Virkkunen. Cette responsable, chargée de la Souveraineté technologique, a identifié trois axes prioritaires de développement : l’intelligence artificielle, l’informatique quantique et les semi-conducteurs.
Les appels à se passer des géants américains de la tech émanent aussi des experts et de parlementaires européens. « Dépendre exclusivement de technologies extra-européennes nous expose à des risques stratégiques et économiques », alerte l’eurodéputée Stephanie Yon-Courtin, une spécialiste de ce dossier.
« Acheter européen »
Les chiffres révèlent une situation alarmante. Microsoft, Amazon et Google contrôlent les deux tiers du marché européen du cloud. En 2023, les États-Unis ont fourni 23% des importations technologiques de l’UE, juste après la Chine. Ces importations comprennent smartphones, semi-conducteurs et biotechnologies. Les experts jugent peu probable la création d’un réseau social européen rival de Facebook, X ou Instagram. Cependant, ils considèrent que l’Europe peut encore se démarquer dans le domaine de l’intelligence artificielle.
Afin de donner un coup de pouce au secteur, l’UE a d’ailleurs plaidé en faveur d’une « préférence européenne » pour l’IA dans le cadre des marchés publics. « Les incitations à acheter européen sont importantes », salue Benjamin Revcolevschi, du fournisseur français de service de cloud OVHcloud CEO. « Nous devons avoir ce dont nous avons besoin pour développer nos industries essentielles et fabriquer nos produits », renchérit Alison James, de l’association de l’industrie de l’électronique IPC.
D’autres se prononcent pour le lancement d’un vrai système de paiement européen, capable de concurrencer les américains Mastercard, Paypal et Visa, ou le chinois Alipay. La présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde est particulièrement active sur ce dossier. Les professionnels du secteur savent toutefois qu’une souveraineté technologique européenne requiert des investissements massifs, au moment même où l’UE a plutôt les yeux tournés vers la défense.
Dans le cadre d’une initiative baptisée Eurostack, des experts ont chiffré à 300 milliards d’euros d’ici à 2035 les besoins pour arriver à un écosystème européen de la tech. L’association américaine Chamber of Progress évoque quant à elle un montant bien plus élevé, autour de 5.000 milliards d’euros.
« Valeurs très différentes »
L’Europe n’est peut-être pas encore connue pour ses géants de la tech. Mais elle est en revanche déjà célèbre pour le vaste arsenal juridique, unique au monde, dont elle s’est dotée pour les réguler. Ces lois sont régulièrement critiquées par le milliardaire Elon Musk et le vice-président américain JD Vance qui accusent Bruxelles de censure et de brider l’innovation.
Mais pour nombre d’autres, elles sont au contraire tout autant de raisons de défendre la souveraineté technologique de l’Europe. Le navigateur norvégien Vivaldi avait ainsi constaté une « augmentation significative et encourageante des téléchargements en Europe » au moment de l’entrée en vigueur de ces règlements, selon un membre de son équipe, Bruce Lawson. Il assure qu’il ne s’agit en rien d’être antiaméricain.
Mais « de nous affranchir de la dépendance à l’égard de certaines infrastructures qui ont des valeurs très différentes en matière de protection des données », défend M. Lawson.
Selon lui, les utilisateurs préfèrent simplement « avoir leurs données traitées par une entreprise européenne » que par un géant aux États-Unis, où ces règles « n’existent pas nécessairement ».
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