Commission d’enquête Rousseau : #MeToo partout, justice nulle part !

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Commission d’enquête Rousseau : #MeToo partout, justice nulle part !





















Sandrine Rousseau, à l’origine d’une Commission d’enquête sur les violences sexuelles, sexistes dans le milieu du spectacle.
Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP

Billet

Par Sarah Barukh

Publié le

Alors que la députée écologiste Sandrine Rousseau a mis en place une Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité, notre chroniqueuse Sarah Barukh pointe une limite du mouvement #MeToo. En multipliant les vagues dans différents secteurs, les féministes oublient de larges pans de la société.

La Commission d’enquête Rousseau a tenté de mettre en lumière les violences sexuelles, sexistes dans le milieu du spectacle (cinéma, audiovisuel, spectacle vivant, mode, publicité). Cette démarche fait suite à de nombreux scandales post #MeToo. De nombreuses comédiennes ont mis des mots sur les souffrances vécues lors de tournages ou de grands festivals, encourageant des mannequins ou collaboratrices de grandes agences de communication, provoquant un immense impact sociétal.

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Bien que les victimes aient toujours parlé, ce que la vague #MeToo a provoqué, c’est que désormais, on les écoute, des commissions ont lieu, dont on révèle dans la presse, les préconisations. Mais à quel moment le combat pour la justice sociale devient-il une arme militante qui finit par exclure au lieu d’inclure ?

#MeToo dans tous les secteurs ?

Si l’objectif d’une telle commission est de comprendre comment lutter contre ce qui fait souffrir de manière systémique, je m’interroge sur sa pertinence. Les violences intrafamiliales, conjugales, sexistes et sexuelles que je résume par violences intimes sont partout. Dans tous les milieux, toutes les classes sociales, toutes les cultures, tous les âges. Partout. Tous les jours.

Cela signifie que c’est inhérent à l’humain, à son comportement en société, à sa capacité de tolérance à la frustration, à la peur, au rejet, à son avidité de pouvoir, de possession, de désir et de jouissance. Va-t-on devoir lancer un #MeToo dans tous les secteurs ? La nomenclature d’activité française comptabilise 88 divisions, 272 groupes, 615 classes, et 732 sous-classes. On risque d’y perdre pas mal de temps. Ce serait en outre, moins bling-bling d’écouter des victimes du secteur Sylviculture et exploitation forestière ou Extraction de houille et de lignite (codes NAF 2 et 5) que des actrices et acteurs de renom, mais nous obtiendrions exactement les mêmes constats (et les mêmes étonnements).

Blague à part, en procédant ainsi, uniquement parce que les stars excitent les médias, on laisse entendre qu’il existe encore des milieux où ces violences n’existent pas ou pas de manière si grave, que la douleur n’y est pas la même… Jusqu’au prochain #MeToopisciculture.

Violences verticales

Pour ceux qui n’auraient pas suivi, les femmes en sont les principales victimes et les hommes, les principaux coupables. Il ne s’agit pas d’idéologie mais de statistiques éprouvées, stables dans le temps. 96 % des détenus carcéraux sont des hommes, comme 90 % des coupables de violences conjugales et 96 % des coupables de viols (dont 28 % sont mineurs).

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Cela dit, ces violences intimes touchent aussi les hommes, ainsi que les populations LGBT qui pâtissent d’une double peine de reconnaissance due à leur stigmatisation et à la peur du jugement lors des démarches, ce qui nuance les chiffres sans pour autant inverser les tendances.

On regarde par ailleurs les violences intimes sur un plan horizontal uniquement alors qu’il faut aussi les interroger de manière verticale : l’immense majorité de ces hommes ont vécu enfant des violences intimes ou ont assisté aux violences entre leurs parents, et c’est ce qui déclenche une incapacité à juguler sa colère. S’ils ne sont pas responsables de leur passé ou des troubles provoqués, ils sont en revanche responsables de ne pas se soigner. Ces violences intimes qui abîment et font de vous une proie pour d’autres violences ou un coupable, sont les violences subies de manière directes et indirectes, les agressions sexuelles sur mineurs et incestes, les abandons, les humiliations, tout ce qui place un enfant ou jeune adulte dans une instabilité affective et une insécurité.

Aider les victimes

Si les femmes sont majoritairement victimes de ces violences sur un plan horizontal, que l’inversion de la charge de la preuve, le manque de formation à la compréhension des mécanismes de la part des magistrats et leurs partenaires donnent aux coupables actuels et futurs un sentiment justifié d’impunité (moins de 6 % des femmes victimes de viols et agressions sexuelles portent plainte et plus de 70 % des plaintes sont classées sans suite), les femmes sont également coupables ou complices sur un plan vertical. Coupables de n’avoir pas signalé des crimes, de n’avoir pas écouté, coupables d’avoir voulu instrumentaliser leur fille ou leur fils, d’avoir vécu par procuration à travers elle ou lui. En gros, derrière chaque homme violent, il y a des parents qui n’ont pas pu, pas su, pas vu. Ce qui implique une maman.

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Cette maman est souvent, elle aussi, le résultat d’une histoire de violence qui l’a « empêchée ». Mais alors, comment on arrête ? Comment on cesse de se transmettre cette colère inhérente aux peurs structurelles des humains face à l’absurdité de l’existence et de nos conceptions compétitives du succès ?

Pourrait-on élever niveau et changer le registre de la guerre des sexes pour s’intéresser aux vraies questions : comment aider les futures victimes à ne pas devenir des proies, aider à s’en sortir celles qui le sont devenues et empêcher les coupables de le devenir ou le rester. Ce n’est pas un modérateur de scènes d’intimité qui empêchera un phénomène d’emprise, c’est l’accompagnement systématique d’une petite fille ou d’un petit garçon qui dénoncera des crimes sexuels, du harcèlement, de la peur, le fait de les croire, de les protéger… Pour qu’ils se définissent en dehors d’un système de domination et de revanche.


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