Il y a deux cents ans tout juste, le 17 avril 1825, les autorités d’Haïti récemment décolonisée (en 1804) acceptaient sous la menace des canons de la flotte française, de payer 150 millions de francs-or d’indemnité aux anciens propriétaires de terres et d’esclaves, en échange de la reconnaissance de l’indépendance par le roi Charles X.
Cette indemnité colossale imposée par la France comme prix de la liberté de son ancienne colonie demeure comme un boulet qui pèse sur le destin du pays, qui vit dans une instabilité politique chronique depuis des décennies, et fait l’objet de débats sans fin.
Haïti a marqué un tournant dans l’histoire de la décolonisation en devenant la première république noire à proclamer son indépendance le 1er janvier 1804. Cette proclamation fait suite à la victoire militaire décisive remportée par « l’Armée indigène », composée d’esclaves insurgés, contre les forces expéditionnaires napoléoniennes lors de la bataille de Vertières en novembre 1803. Résultat de cette première décolonisation de l’histoire de France, l’ex-Saint-Domingue s’est alors retrouvé au ban des nations.
Afin de s’acquitter de l’indemnité (réduite à 90 millions de francs en 1838) exigée pour sa réintégration dans le concert international, la jeune nation haïtienne a été contrainte de contracter des emprunts à taux usuraires auprès d’établissements bancaires français. Cette situation financière précaire a été aggravée par la chute des cours du café, sa principale source de revenus. Le remboursement de cette double dette, comprenant l’indemnité et les intérêts des emprunts, s’est étalé jusqu’en 1952, année du versement des derniers intérêts.
« Rançon »
Selon la Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME), cet engrenage a entraîné Haïti « dans une spirale de dépendance néocoloniale dont le pays ne parviendra jamais à s’extraire ». « Cette indemnisation a entravé durablement le processus de développement du jeune État tant par ses mécanismes financiers que par le poids politique qu’elle charrie », abonde l’économiste haïtien Pierre Benzico.
Haïti, nation de 12 millions d’âmes et la plus démunie des Amériques, est en proie depuis plusieurs décennies à une instabilité politique persistante, terreau fertile pour la prolifération de groupes criminels organisés. Ces organisations délictueuses exercent actuellement leur emprise sur environ 85 % de la capitale, d’après les estimations des Nations unies, et répandent l’effroi par le biais d’homicides, d’agressions sexuelles, de rapts et de déprédations.
Les autorités françaises s’opposent à une interprétation manichéenne de l’histoire, considérant qu’elle permettrait au gouvernement haïtien de se décharger de sa responsabilité dans l’instabilité du pays, la corruption et les liens troubles entre certains membres de l’élite politique et les milieux criminels. Cette situation est particulièrement préoccupante dans le domaine du trafic de stupéfiants, Port-au-Prince étant idéalement situé, à 1 100 kilomètres de Miami, pour servir de plaque tournante du trafic vers les États-Unis.
« Initiatives »
Emmanuel Macron annoncera néanmoins « des initiatives » le 17 avril, car « il va de la responsabilité de la France de faire vivre la mémoire de l’esclavage », a affirmé jeudi dernier le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot.
Le président français ira-t-il jusqu’à une réparation financière, même symbolique, demandée par les autorités haïtiennes dans la foulée d’une campagne lancée en 2003 par l’ex-président Jean-Bertrand Aristide, qui avait évalué cette « double dette » à 21,7 milliards de dollars ? Un comité de réflexion réuni à l’époque par le gouvernement français sous l’égide de Régis Debray avait conclu à « l’anachronisme » d’une telle revendication.
En janvier, le président haïtien par intérim Leslie Voltaire a affirmé qu’Emmanuel Macron lui avait évoqué lors d’un entretien le principe d’une « restitution » — que la présidence française n’avait pas mentionnée dans son compte rendu des discussions. « Haïti est un pays en vrac, pour qui, soyons honnêtes, l’urgence n’est pas la dette, mais la sécurité », et la France a une image passablement dégradée dans ses anciennes colonies d’Afrique, estime de son côté le géographe haïtien Jean-Marie Théodat.
Un « geste significatif » de Paris serait « un accord gagnant-gagnant car il permettrait aussi de mettre beaucoup d’huile dans les rouages » entre la France et ses anciennes dépendances, plaide cette figure de la diaspora haïtienne en France.
(Avec AFP)
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