Que faire lorsqu’on est témoin d’une agression ? Un professeur de self-défense, un psychothérapeute et la police répondent

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Que faire lorsqu’on est témoin d’une agression ? Un professeur de self-défense, un psychothérapeute et la police répondent





















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« Fuite, attaque ou sidération. » Selon Pierre Nantas, psychothérapeute, ces trois réactions résument ce qui se produire dans notre cerveau lorsque nous sommes témoins d’une agression.
Louise Canguilhem / Hans Lucas

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​À Lyon, en novembre 2024, un sans-abri est tué en pleine rue d’un coup de parpaing, alors qu’il dormait. L’agresseur, déjà soupçonné d’attaques similaires, sera arrêté grâce à une femme qu’il venait de frapper dans un train. Face à ces violences que l’on voit de plus en plus sur les réseaux sociaux, une question persiste : pourquoi reste-t-on parfois figé, témoin d’une agression sans intervenir ? Sidération, peur de mal faire, sentiment d’impuissance… Police, psychologues et professeur en self-défense décryptent ces mécanismes et expliquent comment reprendre le pouvoir.

En 2023, les agressions physiques en France ont atteint un niveau préoccupant, avec près de 1 000 incidents signalés chaque jour. Les coups et blessures volontaires, en particulier, ont connu une progression notable, avec 362 000 cas recensés en 2023. Face à cette réalité, Laurent Hennequin, professeur de self-défense a fondé en 2011 l’association Ladies Système Défense, qui a depuis formé plus de 14 000 femmes à réagir si elles sont victimes ou témoins d’une agression dans l’espace public.

Laurent Hennequin, professeur de self-défense

Son association propose de créer des réflexes en multipliant les mises en situation pour que, le jour où l’agression survient pour de vrai, « les connexions se fassent vite et que l’on puisse agir le plus rapidement possible ».

Les stages de trois heures (30 euros) attirent un public allant de « la jeune fille de 14 ans jusqu’à la dame de 70 ans ». Toutes viennent pour la même raison : apprendre à réagir face à une agression, qu’elles en soient victimes ou témoins.

Le professeur de self défense rappelle l’affaire Kitty Genovese, ce meurtre survenu en 1964 à New York, où une jeune serveuse fut poignardée sous les yeux de 38 témoins sans qu’aucun n’intervienne. « En psychologie, on appelle ça l’effet de sidération », explique-t-il. Les expériences menées à la suite de ce drame ont révélé un phénomène troublant : plus le nombre de témoins est important, moins les chances d’intervention sont élevées.

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« Chaque personne dilue sa propre responsabilité jusqu’à penser : si je n’interviens pas, c’est l’autre qui va intervenir », analyse Laurent Hennequin. « Nos séances tentent de montrer aux femmes qu’elles peuvent être celle qui lance le groupe, qui insuffle aux autres la démarche à suivre. »

Contrairement aux idées reçues, l’objectif n’est pas d’encourager la confrontation physique. « On essaie un maximum d’éviter d’en venir aux mains tout en respectant une forme de responsabilité morale », rappelle le professeur.

Parmi les techniques enseignées, il en détaille trois facilement applicables. Il y a la désignation individuelle : « Si une femme voit une agression sans port d’arme, elle peut inciter quelqu’un de plus fort qu’elle physiquement à venir lui porter de l’aide. » Ensuite il y a la diversion : « On va dissuader l’agresseur en lui demandant un renseignement pour laisser une porte ouverte à la victime de partir sans se mettre en danger. » Et enfin, il y a la technique de la fausse connaissance : « Si on voit quelqu’un se faire agresser, on peut venir la voir, lui inventer un prénom, et lui dire de nous rejoindre. Ça dissuade l’agresseur et ça offre une échappatoire à la victime. »

Le programme, conçu avec des gendarmes, des policiers et des psychiatres, débute par 20 minutes de théorie avant d’aborder les aspects physiques et mentaux. « On apprend aux femmes à demander de l’aide, à ne pas paniquer, à analyser la situation, à vérifier s’il y a port d’arme, s’il faut appeler du monde ou au contraire ne pas faire paniquer les personnes autour », détaille Laurent Hennequin.

« On apprend des gestes dont on espère ne jamais avoir besoin de se servir », confie le professeur avec gravité. « Mais on sait qu’ils peuvent sauver une vie. » Dans une société où l’espace public devient parfois terrain d’angoisse, particulièrement pour les femmes, ces formations rappellent que la solidarité citoyenne peut encore faire la différence, à condition d’être éclairée par le bon geste au bon moment.

Pierre Nantas, psychotérapeute

« Fuite, attaque ou sidération. » Selon Pierre Nantas, psychothérapeute, ces trois réactions résument ce qui se produit dans notre cerveau lorsque nous sommes témoins d’une agression. Et parmi ces trois options, c’est la sidération qui l’emporte le plus souvent. « On est tellement étonné de la situation qu’on est dans l’impossibilité d’agir », explique-t-il.

Ce phénomène ne relève pas de la lâcheté mais d’un mécanisme biologique précis. « Le choc émotionnel est tellement fort que le cortex du cerveau est comme disjoncté », détaille le spécialiste. Le traumatisme va alors s’installer dans « le lobe limbique du cerveau, qui comprend les structures qui reçoivent des informations de diverses régions du cerveau et qui contribuent à des comportements complexes ».

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Cette perturbation cérébrale peut avoir des conséquences durables. « C’est justement lorsque l’information s’installe dans le système limbique que l’homme va ressentir un stress post-traumatique, ce qui peut avoir des conséquences graves, chez la victime comme chez le témoin de l’agression qui n’a rien pu faire », poursuit Pierre Nantas.

Outre la sidération, le déni constitue une autre réponse possible du cerveau face au choc. « C’est plus rare. C’est lorsque la relation avec l’émotionnel ne se met même pas en route. Le cerveau refuse de prendre en compte l’information », explique le spécialiste.

Face à ces traumatismes, des solutions thérapeutiques existent. « Il y a une technique qui marche très bien pour soigner ces cas, c’est l’EMDR (psychothérapie par mouvements oculaires qui cible les mémoires traumatiques des individus) », détaille Pierre Nantas. Cette approche permet aux personnes « d’évacuer le traumatisme. Il restera une cicatrice, mais il ne leur reviendra pas en tête de manière chronique ».

« Beaucoup de patients m’ont demandé : comment réagir à la vue d’une agression ? » Face à cette interrogation légitime, Pierre Nantas reste prudent : « Je n’ai pas de réponse. » Ce qui ne l’empêche pas de prodiguer un conseil essentiel : « Il ne faut pas minimiser l’acte. Il faut le prendre dans toutes ses acceptions pour qu’il ne devienne pas un traumatisme. »

Ce que préconise la police nationale

Premier principe cardinal : « Votre intervention doit dépendre de la dangerosité de la situation », précise d’emblée le site gouvernemental Arrêtons les violences. Cette approche pragmatique se traduit par une hiérarchisation des actions.

En cas de danger grave et immédiat, l’appel au 17 constitue la priorité absolue. Les autorités insistent sur la nécessité d’être « aussi précis que possible » lors de cet appel, en indiquant « le lieu de l’agression, le nombre d’agresseurs, le nombre de victimes, la présence éventuelle d’armes, la présence d’enfants » ou toute autre information susceptible de faciliter l’intervention des forces de l’ordre.

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Au-delà de l’intervention immédiate, les autorités mettent l’accent sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la victime. Première règle : « Ne remettez pas en cause son récit, ne cherchez pas à atténuer la responsabilité de l’agresseur. Il est important que la victime se sente crue et soutenue. »

Cette posture de soutien peut s’exprimer par des formules simples mais efficaces : « La loi interdit et punit ces actes et propos », « L’agresseur est le seul responsable », « Vous n’y êtes pour rien », « Je peux vous accompagner vers les forces de l’ordre », « Je peux rédiger pour vous un témoignage », « Vous pouvez être aidé ».

Le texte insiste également sur la nécessité de « respecter la volonté de la victime » et de ne pas prendre de décision à sa place, « sauf dans les situations de danger immédiat ». Une nuance importante qui reconnaît l’autonomie des personnes agressées tout en admettant les limites de ce principe.

L’intervention des témoins s’inscrit dans un cadre juridique précis, rappelé par les autorités. D’un côté, l’article 122-5 du Code pénal relatif à la légitime défense protège celui qui accomplit « un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui », à condition qu’il n’y ait pas « disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte ».

De l’autre, l’article 223-6 du même code sanctionne la non-assistance à personne en danger : « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »

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Fait notable, les recommandations officielles reconnaissent l’impact psychologique que peut avoir le fait d’assister à une agression. « Être témoin d’un acte de harcèlement et/ou de violences n’est pas anodin. Vous pouvez ressentir divers sentiments : peur, culpabilité, malaise… Ces sentiments sont normaux », affirme le document.

Le ministère va plus loin en admettant que « sur le moment, la violence peut sidérer le témoin autant que la victime » et que celui-ci peut « éprouver des difficultés après les faits ». Une reconnaissance institutionnelle des mécanismes psychologiques décrits par les spécialistes, qui incite les témoins à « demander de l’aide, notamment auprès d’associations d’aide aux victimes ».


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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne

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