Depuis quelques jours, le ministre de l’Économie, Éric Lombard, subit la pression des grands patrons, qui réclament une baisse des impôts et une cure d’amaigrissement de l’État. Il faut à l’homme de Bercy tout le calme d’un stoïcien pour résister à ses détracteurs dont certains le décrivent comme une sorte d’« Erik le Rouge », lui faisant grief de ses amitiés à gauche et de son passé social-démocrate.
L’ancien patron de la Caisse des dépôts puise sa force en contemplant sur son bureau une petite figurine de maître Yoda, personnage de Star Wars dont il peut revendiquer la philosophie : « Un maître Jedi a mieux à faire que de se battre. Rechercher la sagesse. Trouver l’équilibre. » Le ministre des Finances en appelle au « patriotisme économique » sans reprendre toutefois à son compte l’injonction du président de la République.
Ce dernier avait au début du mois demandé aux chefs d’entreprise de suspendre leurs investissements aux États-Unis. Une mesure aussitôt désapprouvée par la plupart de nos grands capitaines d’industrie, à juste raison car ils sont bien décidés à ne pas abandonner le terrain.
Les critiques virulentes du patron de LVMH, Bernard Arnault, et du PDG de Total, Patrick Pouyanné, visent principalement une Union européenne aux mains d’une bureaucratie tatillonne qui passerait son temps à créer des normes et à entraver la bonne marche des affaires.
À défaut de patriotisme, on attendait de la part des grands patrons français davantage de nuance dans la critique de l’Europe.
Si les prélèvements obligatoires excessifs et les règles parfois kafkaïennes imposées par l’UE peuvent susciter une légitime indignation, on s’étonne en revanche d’entendre les dirigeants des plus puissantes sociétés françaises défendre le libéralisme radical cher à Elon Musk. Sans doute y a-t‑il un peu de cynisme à vouloir profiter de la boîte de Pandore ouverte par Donald Trump avec l’abandon massif des normes et la perspective alléchante d’une baisse d’impôts.
C’est oublier un peu vite que c’est le maître de la Maison-Blanche qui a déclaré le premier cette guerre commerciale. C’est négliger ensuite la proposition de la Commission de Bruxelles de mettre sur la table la possibilité de créer une zone de libre-échange entre les États-Unis et l’UE. Une contre-attaque qui prend à revers le président américain (son allié Elon Musk s’est dit d’accord), pas vraiment prêt à abandonner son projet inflexible de hausse de 10 % des taxes douanières.
À défaut de patriotisme, on attendait de la part des grands patrons français davantage de nuance dans la critique de l’Europe. Car il s’agit en réalité bel et bien d’une attaque en règle de nos démocraties libérales européennes, qui préservent qu’on le veuille ou non une forme de vivre-ensemble et un équilibre social.
En attendant, les patrons français et européens auraient intérêt à rester unis derrière l’UE, qui fait bloc dans cette guerre commerciale imposée par l’Amérique et loin d’être perdue. Car il règne à Washington une « impression croissante d’anarchie », comme le relève sur X l’ex-ministre Bruno Le Maire. Or Wall Street, on l’a vu, n’aime pas l’anarchie. Le reste du monde non plus. Raison de plus pour les Européens, comme leurs chefs d’entreprise, de rester groupés.
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