Grève à la SNCF : les syndicats du rail, à la remorque d’un influent collectif de contrôleurs ?

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Grève à la SNCF : les syndicats du rail, à la remorque d’un influent collectif de contrôleurs ?






















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Le Collectif national des chefs de bord (CNA), créé en dehors de tout cadre syndical, était à l’origine de la grève de Noël 2022.
Frédéric Pétry / Hans Lucas via AFP

« Tous ensemble, tous ensemble » ?

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Alors que la CGT-Cheminots et le SUD-rail appellent à la grève à la SNCF le week-end du 8 mai, le mouvement social a été rejoint par le Collectif national ASCT (baptisé CNA). Né sur les réseaux sociaux en 2022, cet influent collectif de contrôleurs qui se dit « asyndical » avait déjà donné le ton aux syndicats lors de la grosse mobilisation de décembre 2022. Quel est son poids réel aujourd’hui et comment les syndicats se positionnent par rapport à ce collectif ? État des lieux.

La CGT-Cheminots et SUD-Rail, main dans la main… Derrière un collectif de contrôleurs ? Les deux syndicats de cheminots promettent une « semaine noire » dans les transports pendant le pont du 8 mai. Première organisation syndicale de la SNCF, la CGT-Cheminots a appelé les conducteurs et les contrôleurs à une grève « coordonnée » à partir du 5 mai dans un communiqué publié vendredi 11 avril. La fédération syndicale demande notamment l’augmentation et la refonte de la prime de « traction » pour les conducteurs et de la prime de travail pour les contrôleurs. Et d’insister tout le long sur l’intérêt pour ces deux secteurs à « agir conjointement ».

Avec un mot d’ordre : « ADC/ASCT [N.D.L.R., conducteur et contrôleur dans le jargon cheminot] : une bataille commune pour des intérêts convergents ! ». « Être côte à côte, c’est bien. Être rassemblés et ensemble, c’est encore mieux ! ADC & ASCT : on agit ensemble dès le 5 mai », peut-on encore lire en gras dans ce communiqué où la CGT estime par ailleurs que « les revendications spécifiques à chaque métier bousculent la direction et ceux qui n’ont pas intérêt à voir gagner les cheminots ». La CGT en profite pour annoncer « d’ores et déjà (…) une journée d’action nationale tous services dès début juin ».

Une façon pour le syndicat majoritaire de répondre aux collectifs sectoriels qui ont le vent en poupe ces dernières années à la SNCF ? Et d’imposer sa propre temporalité dans la mobilisation sociale à venir ? Une semaine plus tôt, le syndicat SUD-Rail avait donné le coup d’envoi en annonçant un mouvement social des contrôleurs à l’occasion du week-end du 9, 10 et 11 mai prochain, appelant aussi les conducteurs à se mettre en grève de leur côté le 7 mai.

De nouveaux modes d’organisation

Ce syndicat « de lutte » [N.D.L.R., en opposition au syndicalisme réformiste] né en 1995, devenu troisième du groupe et même deuxième chez les contrôleurs, était alors le seul à appeler à la grève. Dans son communiqué, SUD-Rail critique notamment les changements de planning constants à la dernière minute et réclame, outre des plannings mieux anticipés, une augmentation de 100 euros par mois de la prime de travail des contrôleurs.

Dès le lendemain, le syndicat très représenté chez les contrôleurs est rejoint par l’influent Collectif national ASCT (baptisé CNA), qui avait été à l’initiative des grèves très suivies de Noël 2022 et de février 2024. Quelques semaines plus tôt, SUD-Rail avait justement déposé un préavis de grève du 17 avril au 2 juin à la demande des contrôleurs et de leur collectif national… Restait à choisir un week-end d’action.

En creux, le syndicat a co-construit ce mouvement social avec le CNA. « Chez SUD-Rail, on a nos propres instances de contrôleurs mais nos revendications vont dans le même sens que celles du collectif. On est vraiment en phase avec ce qu’il réclame », résume auprès de Marianne Fabien Villedieu, secrétaire fédéral de SUD-rail. Et de rappeler : « Nous avions déjà travaillé avec eux en 2022 et 2024. »

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Ce groupe informel de contrôleurs créé en dehors de tout cadre syndical a pris de l’influence ces dernières années à la SNCF, jusqu’à s’inscrire dans le paysage des luttes sociales des cheminots. En décembre 2022, la grève pendant les fêtes de fin d’année leur avait permis d’obtenir notamment une prime de travail de 60 euros brut mensuels et l’augmentation de salaire automatique tous les quatre ans maximum. Cette mobilisation d’ampleur de la profession était née… sur les réseaux sociaux et plus particulièrement sur un groupe Facebook aux 3 900 membres – Collectif National Asct (C. N. A).

Même mode opératoire pour préparer la grève de février 2024, mais les contrôleurs ont migré sur des boucles WhatsApp ou Telegram pour s’organiser, observait Le Monde il y a un an, révélant que le collectif asyndical rassemblait alors 4 000 à 5 000 agents sur 8 000 contrôleurs que compte le pays.

« Le CNA n’ayant pas la possibilité de négocier avec l’entreprise SNCF Voyageurs, les syndicats CGT, SUD-Rail ont pris le relais, à la fois pour déposer le préavis de grève et pour engager les négociations avec la direction », soulignait également le quotidien. Car dans la fonction publique – dont relèvent les cheminots de la SNCF – contrairement au secteur privé, toute grève doit être annoncée par un préavis que seules les organisations syndicales sont habilitées à déposer.

Des revendications catégorielles

Contrairement à la mobilisation de 2022, les syndicats avaient été bien plus prompts à s’emparer de cette colère catégorielle en 2024. « Lors de la grève d’il y a un an, SUD-Rail avait “coiffé” la contestation au dernier moment, c’est-à-dire qu’il avait tardé à en prendre le contrôle. Ils s’étaient trouvés dépassés par le surgissement du mouvement. Cette fois-ci, ils ont anticipé », observait dans Marianne à cette occasion Stéphanie Matteudi-Lecocq, spécialiste en droit du travail et auteur en 2023 de Les syndicats peuvent-ils mourir ?.

Voir les syndicats embrasser des revendications sectorielles constituait alors une nouveauté chez certains d’entre eux, et a même longtemps fait l’objet de dissensus. En témoigne une lettre ouverte en date du 2 mai 2023 que l’on trouve sur le site de la CGT-Cheminots, signée par les secrétaires du CNT Trains et de l’UFCM, des structures de la fédération CGT des cheminots. « La CGT n’est jamais tombée dans le piège tendu par les promoteurs de démarches catégorielles et autonomistes. Première organisation syndicale de la filière, première organisation syndicale à la SNCF, la CGT n’a jamais été contactée par le CNA. La CGT est restée sur sa ligne de construction de la mobilisation de toute la filière », peut-on notamment lire.

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À propos de l’UFCM-CGT [N.D.L.R., union fédérale des agents de maîtrise et les cadres du champ professionnel ferroviaire], on peut aussi lire sur le site de la CGT-Cheminots que le « syndicalisme spécifique est un rempart contre les dangers du syndicalisme catégoriel dont le premier est la division du salariat avec une forme de repli identitaire ». Reste qu’aujourd’hui la CGT fait le choix de se saisir de cette colère catégorielle… contrairement à d’autres syndicats réformistes comme l’UNSA-Férroviaire ou la CFDT qui n’appellent pas à la grève.

« J’entends une petite musique, alimentée par la direction et reprise par certains syndicalistes, qui dit que le CNA serait un collectif ultra-catégoriel qui ne penserait qu’aux seuls intérêts des contrôleurs… », déplore ainsi Fabien Villedieu du SUD-rail. Mais le syndicaliste tient à rappeler qu’à la suite du conflit social de l’année dernière, où le collectif était à l’avant-garde, il y a eu des avancées qui ont bénéficié « à tous les cheminots » quel que soit leur métier, « comme les 400 euros de prime de partage de la valeur ou encore l’accord de fin de carrière ».

Surfer sur les divisions

« Donc en attendant, ce collectif-là est à l’origine de mesures intercatégorielles qui concernent tout le monde », résume-t-il. Selon le syndicaliste de SUD-rail, le collectif ferait presque « l’unanimité » parmi les contrôleurs aujourd’hui. « Après ce qu’ils ont réussi à obtenir en 2022 et 2024, beaucoup leur font confiance, observe-t-il. C’est pour cela qu’on bosse avec eux. » Parmi les membres du collectif asyndical, on trouve ainsi des cheminots syndiqués chez SUD. Entrisme d’un syndicat que l’on qualifie souvent de trotskiste, ou simple adaptation à l’air du temps ?

« On dit que les syndicats perdent en influence, ont de vieux schémas, sont rigides… Mais si on veut des syndicats modernes, qui s’adaptent, il faut savoir bosser avec des collectifs qui ont une grande légitimité aux yeux des catégories de métiers qu’ils défendent », balaie Fabien Villedieu, bien conscient des critiques dont souffrent les organisations syndicales depuis plusieurs années. Les membres du collectif, qui ne sont pas protégés par le droit syndical, n’ont pas répondu à nos sollicitations.

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Face à l’émergence de ces mobilisations jugées catégorielles, certains s’inquiètent du risque de la division dans les rangs des cheminots. La direction de la SNCF, ou plus récemment le gouvernement, tentent d’ouvrir cette brèche. Les revendications des contrôleurs ne sont « pas légitimes », a ainsi déclaré le ministre des Transports Philippe Tabarot ce vendredi 18 avril, estimant qu’ils n’étaient « pas les plus mal traités au sein de la SNCF ». Et même d’ajouter : « Il y a des personnels pour qui la tâche et la pénibilité sont beaucoup plus importantes que pour les contrôleurs qui ne sont pas les moins privilégiés », en appelant à poursuivre le dialogue social pour trouver une solution d’ici la semaine du 5 mai.


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