Faut-il remonter à Vladimir Lénine pour comprendre Vladimir Poutine ? Peut-on saisir pourquoi une femme découpe sa cousine sourde et muette en morceaux avant de les jeter dans un train de marchandises ? Et qu’est-ce qui peut relier une trajectoire artistique passée tant par la performance, la danse, les arts visuels que par le théâtre ?
Voilà au moins trois questions que l’on se posera en évoquant le dernier spectacle d’Ariane Mnouchkine, Ici sont les dragons, au Théâtre du Soleil ; celui d’Émilie Charriot sur un texte de Marguerite Duras L’Amante anglaise, récemment présenté aux Ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon, et enfin la figure singulière de la scène contemporaine qu’est Fanny de Chaillé, à laquelle le Théâtre public de Montreuil consacre une grande partie de sa saison printanière.
« Ici sont les dragons. 1917 : la victoire était entre nos mains »
Ici sont les dragons, la nouvelle pièce que présente Ariane Mnouchkine dans son antre du Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, est fondée sur une colère : celle qui a envahi la célèbre metteuse en scène au moment de l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine.
C’est d’ailleurs sur le visage de Vladimir Poutine, annonçant la prétendue « opération spéciale » russe, que s’ouvre ce spectacle qui remonte jusqu’en 1917 et à la révolution du même nom, rembobinant le fil de l’histoire pour comprendre comment on en est arrivés là.
On passe ainsi des tranchées du nord de la France à Petrograd, à travers des tableaux historiques, pédagogiques et cinématographiques, avec changements de décors à vue. Les spectateurs et spectatrices voyagent ainsi dans le temps et dans l’espace, passant du quartier général du tsar Nicolas II, refusant d’entendre ceux qui lui conseillent d’écouter la colère qui gronde dans son pays, au front de Picardie, où un caporal nommé Adolf Hitler est miraculeusement épargné par un soldat anglais.
La victoire était entre nos mains est le premier volet d’une trilogie intitulée Ici sont les dragons, qui veut remonter aux origines de notre présent pour mieux le saisir.
« L’Amante anglaise »
L’Amante anglaise, texte relativement peu connu de Marguerite Duras, est mis en scène par Émilie Charriot. Dans ce texte, un couple, Pierre et Claire Lannes, répond successivement aux questions d’un interrogateur qui cherche à comprendre pourquoi et comment Claire Lannes a tué et découpé en morceaux Marie-Thérèse Bousquet, une cousine sourde et muette qui servait de femme de ménage et de cuisinière au ménage, avant de se débarrasser des morceaux du haut d’un pont.
Pour écrire ce texte, Marguerite Duras s’était inspirée de ce que l’on nomme, sans doute mal, un « fait divers », tout en le convertissant dans sa langue.
Le spectacle est interprété par Nicolas Bouchaud, Laurent Poitrenaux et Dominique Reymond.
Initialement créé cet automne au théâtre Vidy-Lausanne, il était en ce début d’avril visible aux Ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon avant de partir en tournée.
« Portrait Fanny de Chaillé »
Le Théâtre public de Montreuil propose, pendant tout ce printemps, un portrait de l’interprète, chorégraphe, performeuse, metteuse en scène Fanny de Chaillé : un parcours où l’on peut voir à la fois des propositions de celle qui est aussi directrice du Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine (TNBA) et de son école, mais également des cartes blanches qu’elle a confiées à d’autres, ainsi que divers formats de rencontres.
Il n’en fallait sans doute pas moins pour tenter de rendre compte d’un parcours aussi ambitieux que varié qui s’étire désormais sur plus de trois décennies.
Karaokurt en 1995, la première proposition de Fanny de Chaillé, était une installation performance de 4 min 30, un karaoké filmé à partir de l’Ursonate du peintre et poète allemand dada Kurt Schwitters, datant des années 1920, où le poète avait remplacé les notes par des onomatopées.
Et dans l’une de ses dernières pièces produites près de trente ans plus tard et intitulée Une autre histoire du théâtre, elle fait dire d’emblée à l’un des quatre jeunes comédiens qui incarnent avec autant d’ironie que d’énergie ce spectacle : « C’est impossible de raconter l’histoire du théâtre, ça dure depuis des siècles, c’est dans tous les pays du monde. Déjà, on a du mal à maîtriser l’histoire du théâtre et là en plus, on veut en faire une autre… »
Avec :
- Zineb Soulaimani, que vous pouvez lire dans la revue Mouvement et Le Quotidien de l’art, et dont vous pouvez aussi écouter le podcast « Le Beau Bizarre » ;
- Caroline Châtelet, qui écrit pour ScèneWeb et le trimestriel Théâtre ;
- Vincent Bouquet, dont vous pouvez retrouver la plume sur ScèneWeb.
« L’esprit critique » est enregistré et réalisé par Karen Beun.