Melania Avanzato
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D’où vient l’amour et que peut-il lorsqu’il n’est pas « conventionnel » ? Intense et poignant, « Tu m’as volé mon étoile » (éditions Récamier), un récit intimiste signé de l’ancien journaliste puis agent artistique Jean Nainchrik, retrace la genèse et le devenir d’une passion entre deux garçons âgés de dix-sept ans dans la France de l’après-guerre, sur fond d’une douloureuse mémoire juive de la Seconde Guerre mondiale. Incandescent.
Tout est soudain, caché et si sensible que la vérité s’égrène comme les morceaux d’un puzzle, dans ce roman court et autobiographique de Jean Nainchrik. Mais qui est-il et de quoi est-il question ici ? On ne présente plus ce Jean, à la fois personnage et auteur du roman, dans les milieux où il a fait rayonner ses talents.
Tour à tour ingénieur dans l’aéronautique, journaliste à France Inter puis en presse écrite, et enfin, agent artistique, producteur de cinéma et scénariste : celui qui a aujourd’hui 83 ans ajoute une corde à son arc en dévoilant Tu m’as volé mon étoile (Récamier), un récit intimiste et poignant où il revient sur son premier amour pour Léo, à 17 ans.
Une histoire qui prend sa source dans le Paris de la fin des années cinquante et s’embrase lors d’un voyage scolaire en Italie, à l’initiative d’un professeur communiste, qui avait à cœur de tourner ses élèves vers la haute culture. Ni Léo ni Jean, jeunes et fougueux, ne pensaient à aimer autrement : ils regardaient les filles. Et pourtant se scellera là une passion, certes furtive, mais qui décidera de leur avenir.
L’angoisse, la douleur et le deuil
Un puzzle, oui. Car notre histoire navigue entre 1958, le temps de la rencontre, 1941, l’année de la naissance des deux garçons, 2020, le temps de la pandémie, où Jean remet la main sur une lettre que Léo lui avait adressé, et 1973, année de la disparition de Léo dans le désert du Sinaï, pendant la guerre du Kippour. Le point d’arrivée est 2023, au cimetière de Bagneux, où Jean devant sa tombe s’adresse à son amour adolescent : « Viens Léo sortons par-là ». Dans l’immense intervalle, l’écrivain nous aide à reconstituer cette histoire qui donne à sa vie tout son sens.
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À bien y regarder, et malgré le tabou résultant de la réalité de l’homosexualité dans les années d’après-guerre, les destins de Léo et Jean étaient entrelacés depuis le départ. Ces enfants juifs, nés durant la guerre tous les deux, portent dans leur chair l’angoisse, la douleur et le deuil des leurs.
C’est la mère de Léo qui dévoilera à Jean leur histoire familiale, comment elle-même fut sauvée de la Shoah, comment elle tomba enceinte, et Jean comprendra alors combien cette histoire ressemble à la sienne. Les deux garçons sont des rescapés, ils n’auraient pas dû voir le jour. Autour du cou de Jean, son shadaï, une étoile de David, que Léo lui volera en Italie. « Ce vol était une preuve d’amour », écrit Jean.
Rare beauté
Dans ce livre, on le croirait, il ne se passe rien hormis une rencontre (et quelle rencontre !). Pourtant c’est aussi l’histoire qui défile sous nos yeux, et les personnages qui passent entre ses gouttes tant qu’ils le peuvent. C’est la deuxième guerre mondiale et la persécution des juifs, ensuite les Trente Glorieuses où tout est encore si difficile pour les homosexuels, interdit, non-dit et honteux, puis la guerre du Kippour qui cause la disparition de Léo, et enfin la pandémie du Covid à l’autre bout du récit.
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Jean recolle les morceaux dans le désordre pour mieux s’abreuver de leur intensité. Peut-être cette histoire ne pouvait-elle s’écrire et se lire que par fragments, dialogues, lettres et poèmes entrelacés. C’est en tout cas un roman d’une rare beauté, qui se lit d’une traite, et qui modèle page après page, ce que l’amour nous fait, et la manière dont il imprime sa marque sur nos existences.
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Tu m’as volé mon étoile, de Jean Nainchrik, Récamier, 176 p., 18,90 €.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne