De Trump à Louis XIV, de Musk à Colbert : l’homme assis et l’homme debout

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De Trump à Louis XIV, de Musk à Colbert : l’homme assis et l’homme debout





















“L’intrusion de Musk et de son fils dans le bureau présidentiel déchire le décor du « roi » Trump”
Image du compte twitter de Musk

Tribune

Par Jean-Yves Chevalier

Publié le

Jean-Yves Chevalier, Ancien professeur de mathématiques au lycée Henri IV établit une comparaison entre un tableau de Henri Testelin, peintre de cour, de Colbert « Colbert présente à Louis XIV des membres de l’Académie royale des sciences » et la photo prise dans le bureau ovale de la Maison-Blanche avec Donald Trump trônant en majesté, Musk et son fils. Il en tire l’idée d’une posture absolutiste de Trump qui tranche avec l’histoire américaine, mais aussi, avec le capitaine d’industrie(s) et son fils, lesquels décrédibilisent le décor du roi.

Deux images : l’une est un tableau, peint vers 1675, du Musée national du Château de Versailles, de Henri Testelin, peintre de cour, Colbert présente à Louis XIV des membres de l’Académie royale des sciences.


Henri Testelin, Colbert présente à Louis XIV des membres de l’Académie royale des sciences, 
Musée national du Château de Versailles
Henri Testelin, Colbert présente à Louis XIV des membres de l’Académie royale des sciences,
Musée national du Château de Versailles

L’autre est une photographie prise dans le bureau ovale de la Maison-Blanche il y a quelques jours et pourrait s’intituler Elon Musk présente son fils à Donald Trump.


“L’intrusion de Musk et de son fils dans le bureau présidentiel déchire le décor du « roi » Trump”

Image du compte twitter de Musk

A priori, tout sépare ces images. Un roi assis en pleine majesté, un président élu un peu avachi sur son bureau. Colbert, un partisan résolu de la puissance de l’État, Musk un libertarien qui le déteste (mais Colbert est comme Trump adepte d’un protectionnisme strict et SpaceX vit de subventions fédérales). Seul le roi est couvert (avec un ecclésiastique) quand c’est Musk qui porte une casquette (le chef est celui qui a le chef couvert ?). Surtout c’est le contraste entre le monde du livre et celui de l’image qui apparaît. Devant le roi, sur la table couverte d’un magnifique tissu, des livres, des plans (dont celui du Canal des deux mers, qui n’est pas le Canal de Panama). À Washington aucun livre, sur le bureau une corbeille à courrier vide, et plus loin, sans doute, des moyens de communication ; une horloge derrière les académiciens, pas derrière Musk, le temps ne va pas assez vite pour lui. Sur le tableau de Testelin, trois sphères, une sphère armillaire en haut, un globe terrestre à gauche, un globe céleste à droite.

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À la Maison-Blanche, une sphère terrestre est également présente : elle figure sur le trophée de la Coupe du monde de foot posée sur une étagère devant la fenêtre (encore est-ce une réplique, les États-Unis n’ayant jamais gagné la compétition, c’est un des charmes de ce sport). Aucun des savants (dont Huygens et Cassini), à gauche du tableau, ne regarde le spectateur, privilège réservé au roi et à un Grand, derrière lui.

Dans le bureau ovale, Musk et son fils ne regardent pas Trump (qui a l’air un peu dépassé dans l’affaire) mais le public (on aurait d’ailleurs dû intituler la photo : Elon Musk présente son fils au public). Dans un cas, c’est le savoir qui se montre au roi (l’Observatoire de Paris est le décor du fond), dans l’autre c’est un spectacle qui se déploie sur tous les écrans du monde.

Posture absolutiste de Trump : un changement dans l’histoire américaine

La comparaison est anachronique, bien sûr, d’autant qu’en Amérique comme ailleurs le spectacle n’est pas que du spectacle et que l’Europe n’est aujourd’hui plus vraiment celle du savoir et du livre. Mais on a noté que Trump, depuis son élection, était souvent photographié assis derrière son bureau, loin de l’image que nous avons d’un président américain debout derrière son pupitre. Une pose monarchique pour celui qui signe avec un stylo à plume (pas même connecté) des décrets sur du papier.

Il y a de l’archaïque là-dedans, ou plutôt une mise en scène archaïsante d’un absolutisme tellement contraire à l’histoire américaine qu’il est nécessaire, pour l’incarner, d’appuyer sur une attitude significative, l’« autorité assise » (les autres bougent autour) d’origine européenne, monarchique et plus lointainement théologique. Peu importe, à l’aune des médias contemporains, qu’on soit loin de la majesté de Louis XIV (et que Mara Lago soit un Versailles kitsch), on acte un changement politique par un simple changement de position.

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C’était bien la peine que nos présidents fassent l’inverse (ce qui avait tout autant de signification) et quittent la posture régalienne de De Gaulle ou Mitterrand assis en conférence de presse pour se montrer eux aussi debout derrière un pupitre en Plexiglas et se mettre ainsi au niveau de ce qui se faisait Outre-Atlantique, la référence incontournable (Emmanuel Macron alla même, au Louvre le soir de son élection, jusqu’à chanter la Marseillaise la main droite posée sur le cœur pour faire moderne, c’est-à-dire américain, imité en cela par nos sportifs aux jeux olympiques – à moins que ce ne soit l’inverse). Une bonne volonté qui n’aura servi à rien, le réveil est douloureux.

Trump – Musk : une répartition des rôles

Musk, lui, reste debout, personne ne l’a jamais vu avec un stylo et il doit éviter le papier. Une répartition des rôles que l’image du bureau ovale mettrait en scène? Une alliance du promoteur immobilier expert en parpaing et du spécialiste du logiciel, du concret et du virtuel, de l’ (un peu) ancien et du (très) moderne ? Il y a entre les deux au moins un point commun, la capacité reconnue à « faire ». Musk, capitaine d’industrie(s) qui construit des voitures qui sont censées marcher toutes seules, des satellites, des fusées, des puces pour « augmenter » le cerveau et désormais s’occupe de l’IA et Trump qui semble avoir le pouvoir de tout renverser en Amérique et ailleurs, avec son stylo et ses décrets (ça paraît encore plus fort vu les moyens utilisés). On ne mesure pas assez de quel poids a pesé cette faculté magique paraissant retrouvée à agir – alors qu’on répète depuis des décennies que la politique ne peut plus rien – fût-ce pour faire n’importe quoi.

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Mais il y a quelque chose qui ne colle pas entre les deux, qui correspond à une faille dans leur électorat entre les conservateurs « à l’ancienne » et les ralliés des technologies de pointe. Entre un Donald qui appelle son fils Donald (Junior) et un Elon qui appelle son fils XÆA-12, on se doute qu’il y a plus qu’une nuance. Une volonté dynastique regarde vers le passé (puisqu’elle cherche à reproduire ou du moins à perpétuer) ; appeler son enfant XÆA-12, c’est clairement vouloir le débrancher de tout passé. L’intrusion de Musk et de son fils dans le bureau présidentiel déchire le décor du « roi » Trump signant ses décrets ; Musk, droit comme ses fusées, décrédibilise Trump qui ne fait plus Nec pluribus impar (« au-dessus de tous », la devise du Roi-Soleil) mais son âge (le latin n’est pas si incongru, les deux drapeaux derrière Trump et Musk en sont couverts).

Un obsédé du forage à tous crins et un constructeur de voitures électriques ne peuvent pas s’entendre durablement. Celui qui s’affiche en monarque et celui qui se vit comme un personnage de jeu vidéo, l’homme assis et l’homme debout, l’homme à la cravate et l’homme à la casquette, celui qui écrit et celui qui code finiront bien par rompre. Une bonne nouvelle pour leurs opposants. Sauf pour ceux qui se rappelleront qu’en Allemagne et en Italie, dans les années vingt, on a vu aussi des attelages improbables entre de vieux réactionnaires et de plus jeunes qu’eux qui ne pensaient qu’à l’avènement d’un monde nouveau, régénéré. La suite n’a pas été réjouissante.


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