À Chinatown (New York), des commerçants désemparés : “On a voté Trump en espérant une baisse des prix, pas l’inverse”

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À Chinatown (New York), des commerçants désemparés : “On a voté Trump en espérant une baisse des prix, pas l’inverse”






















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Sur Mulberry Street et Elizabeth Street, la majorité des commerçants préfère éviter de parler de politique et d’économie. Mais ceux qui le font confessent être très inquiets.
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Soupe (de nouilles) à la grimace

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Dans le quartier chinois du bas de Manhattan, tout autour de Canal Street, l’annonce des droits de douane de 145 % sur les produits venus de Chine, mis en place par l’administration Trump, a été reçue comme un choc. Les effets induits par cette nouvelle guerre commerciale ultra ciblée pourraient forcer de nombreux commerces et importateurs à mettre la clé sous la porte.

Quelques jours après que Donald Trump a annoncé des droits de douane supplémentaires de 125 % sur les produits importés de Chine (en plus du taux de 20 % annoncé un peu plus tôt), des élus locaux et des commerçants ont tenu une conférence de presse devant un célèbre restaurant de dim sum du quartier de Chinatown, à New York, pour alerter sur les conséquences locales de cette guerre commerciale. « Nous avons toujours fonctionné avec des marges de profit réduites parce que nous opérons au sein d’un quartier populaire », a d’emblée expliqué Karen Liu, dont la famille est propriétaire de Grand Tea & Imports, une boutique qui vend des thés, de l’encens et de la porcelaine. « Nous sommes une petite entreprise, nous n’avons pas d’avocats, pas de spécialistes des importations. Donc quand les droits de douane sont soudain passés à 145 %, nous nous sommes sentis totalement dépassés, et désarmés. Ce taux menace très directement notre capacité à nous réapprovisionner ».

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La mairie de la ville projette d’ores et déjà la disparition de plus de 35 000 emplois cette année à New York en cas de récession (même modeste) liée à la brutale perturbation des relations commerciales internationales. Les petits commerçants de Chinatown seront particulièrement touchés : que ce soient les jouets, les herbes médicinales, l’électroménager, le ginseng, les sauces ou les jeux de mah jong, une immense majorité des produits vendus dans le quartier viennent de Chine.

« C’est encore plus compliqué à gérer que le Covid. Une fois qu’il y a eu le vaccin, on s’est adapté, mais là c’est totalement imprévisible. »

Sur Mulberry Street et Elizabeth Street, deux rues particulièrement animées – et dont ont été peu à peu « écartées » les familles italiennes historiquement implantées dans le quartier –, la majorité des commerçants préfère éviter de parler de politique et d’économie. Le jeune homme au comptoir d’une échoppe remplie de statues et de lanternes assure que tout va bien, et chez Da Shop, une boutique spécialisée dans les figurines de manga et les cartes Pokémon, le patron a un ton apaisé : « On va s’adapter. De toute façon, on suit toujours ce que fait le président, que ce soit Biden ou Trump. »

“Je ne peux pas importer mon thé de Sibérie !”

À l’inverse, Wellington Chen, le directeur de Chinatown Partnership, une association de développement local fondée en 2006, n’hésite pas à faire part de son inquiétude et de sa colère. « Les commerçants du quartier me disent qu’ils ne savent plus quoi faire. Certains ont essayé d’annuler des commandes en Chine après l’annonce des nouveaux droits de douane. C’est encore plus compliqué à gérer que le Covid. Une fois qu’il y a eu le vaccin, on s’est adapté, mais là c’est totalement imprévisible. Actuellement, seules la Biélorussie, la Corée du Nord et la Russie sont exemptés de tarifs douaniers vers les États-Unis. Mais moi, je ne peux pas importer mon thé chinois de Sibérie, ni mon huile de coco de Biélorussie. »

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À Chinatown, Chen a déjà remarqué une légère augmentation des prix : les sacs de noix qu’il achète pour sa mère sont passés de 5 dollars à 7,5 dollars. Il pense que pour l’instant, certaines entreprises absorbent le choc, tandis que d’autres réduisent les portions. Les restaurants pourraient aussi être touchés, car les récipients qu’ils utilisent pour vendre les plats que la clientèle emporte en « take away » sont importés de Chine.

« Les gens ont voté pour une réduction de l’inflation et une baisse des coûts, on ne s’attendait pas au résultat inverse », résume Chen. « Seul le club des milliardaires peut obtenir des exemptions, pas les petits commerçants comme nous. Les appareils électroniques ont été exemptés de tarifs douaniers car le patron d’Apple peut aller à la Maison-Blanche et se plaindre que personne n’achètera un iPhone à 3 500 dollars. Mais qui d’autre peut faire ça ? »


À Chinatown (New York), certains ont déjà remarqué une légère augmentation des prix sur certaines denrées alimentaires.
À Chinatown (New York), certains ont déjà remarqué une légère augmentation des prix sur certaines denrées alimentaires.

AFP or licensors

On le sait : le président américain promet que des négociations serrées devraient permettre d’obtenir de meilleures conditions commerciales avec la Chine, comme avec d’autres pays du monde, qui bénéficient actuellement d’une suspension de leurs nouveaux tarifs douaniers pendant 90 jours. Mais Pékin, qui n’a pas confirmé que des discussions étaient en cours, préfère mettre en garde les nations trop conciliantes avec Washington et se rapprocher d’autres pays clients et fournisseurs, comme le Brésil, qui remplace peu à peu les États-Unis en tant qu’exportateur de soja vers la Chine. Mais alors que les agriculteurs américains bénéficient déjà de subventions fédérales pour compenser l’impact négatif de la guerre commerciale, ce n’est pas le cas des petits commerçants indépendants, qui eux, vont certainement devoir se débrouiller seuls.

À Chinatown, une population vieillissante…

Chloe Chan, cofondatrice de Mott Street Girls, une entreprise de visites guidées de Chinatown, s’inquiète que les taxes douanières fassent basculer des petits commerces qui avaient déjà eu du mal à résister à la pandémie de Covid. Elle évoque les parents d’une de ses amies, propriétaires d’un magasin discount ouvert dans le quartier il y a plus de trente ans.

Dans le Chinatown de Manhattan, le vote Trump est passé de 20 % en 2020 à 30 % en 2024 ; dans celui de Brooklyn, de 23 % à 42 %.

« C’est difficile car ils vendent tout pour quelques dollars. Des ustensiles de cuisine, des jeux, tout est très bon marché. Leurs clients ne sont pas des touristes, ce sont des restaurateurs locaux, des grand-mères, des immigrés récents. La population de Chinatown est vieillissante, et parmi ceux qui restent, beaucoup vivent dans des logements sociaux et dépendent d’aides sociales. Leur pouvoir d’achat est donc très limité. Alors si les boutiques augmentent trop leurs prix en réponse aux tarifs douaniers, ils risquent de perdre leur clientèle », nous explique la jeune femme. « Nous faisons des visites guidées depuis 2020, mais nous avons dû changer nos itinéraires, car de nombreux établissements ferment. Les boutiques historiques datant des années 1960, celles qui avaient du caractère et du charme, on est en train de les perdre. On risque de devenir un Chinatown générique avec des boutiques de souvenirs pour touristes et du bubble tea ».

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Signe des temps : alors qu’en 2024, la candidate démocrate à la présidentielle Kamala Harris avait remporté la majorité des voix de New York, les quartiers chinois de la ville (à Manhattan, dans le Queens et à Brooklyn), eux, avaient opéré un virage vers la droite – un changement de cap remarqué par rapport aux élections de 2020. Dans le Chinatown de Manhattan, le vote Trump est passé de 20 % en 2020 à 30 % en 2024 ; dans celui de Brooklyn, de 23 % à 42 % ; et dans le Queens, le quartier chinois de Flushing a même voté majoritairement pour Trump, avec 58 % des voix. Les problèmes d’insécurité, notamment l’augmentation des vols et cambriolages, expliqueraient en partie la popularité grandissante de la droite dans ces communautés. Une popularité qui s’avèrera fragile si l’espoir de la prospérité économique s’envole ?


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