“Il m’a servi d’exutoire” : LinkedIn, comment le réseau social austère est devenu journal intime

Marianne - News

https://resize.marianne.net/img/var/cegvHzUi9c/asUfORCmKz3JYqBSv/asUfORCmKz3JYqBSv.jpg









“Il m’a servi d’exutoire” : LinkedIn, comment le réseau social austère est devenu journal intime





















Lancé en 2003 aux États-Unis, LinkedIn a débarqué en France en 2008 avec un design austère.
Riccardo Milani / Hans Lucas

Mise à jour

Par

Publié le

Alors que des réseaux sociaux comme X ou Facebook sont désormais perçus comme violents et pro-Trump, LinkedIn surfe sur une vague de confiance et entame sa « coolification ». Fini le design austère et les contenus professionnels ennuyeux, la plate-forme accueille désormais des selfies, des vidéos tournées à la verticale et des témoignages (très) intimes.

Au milieu des partages de CV (trop) colorés, des messages d’auto-congratulation avec force fusées et des photos d’open spaces immaculés, l’émotion et l’intime prennent une place de plus en plus importante sur LinkedIn. « Je ne pensais pas qu’en partageant quelque chose d’aussi personnel, j’allais susciter un tel élan de bienveillance », souffle Véronique (dont le prénom a été modifié), pourtant utilisatrice du réseau social depuis maintenant 15 ans. Neuf mois après le suicide de sa sœur cadette, en juillet dernier, elle a choisi de tout déballer sur LinkedIn – de ses plus profondes angoisses au « bouleversement de sa vie mentale » en passant par l’évolution de son deuil.

Après un arrêt de plusieurs mois, Véronique, qui exerce dans le domaine de la construction en Suisse, a repris le travail à temps partiel. Et a subi les nombreux « bruits de couloir » et autres commérages, propres à toute vie en entreprise, sur son absence prolongée. « Je voulais rétablir la vérité et couper court à toutes ces supputations », insiste la quadragénaire. Ce réseau social lui a en outre permis d’échapper au jugement de ses proches et de ses parents, qu’elle suit par exemple sur Instagram, sur Facebook, mais pas sur LinkedIn, et « qui n’auraient pas compris » un tel déballage public de son intimité.

À LIRE AUSSI : “La question ne devrait pas être de savoir si l’on quitte X, mais de quitter tous les réseaux sociaux”

C’est donc principalement pour se justifier auprès de l’ensemble de ses collègues – dont certains sont à l’étranger – qu’elle a rédigé ce message. « LinkedIn m’a servi d’exutoire. Ce post m’a aidé à appréhender le deuil d’une autre manière, notamment au bureau », confie Véronique.

Puis la salariée y a vu l’opportunité de mettre en avant une thématique encore peu (ou mal) évoquée, notamment sur les réseaux sociaux : le suicide. « Je savais qu’au-delà de mes collègues, mon post allait être vu par des inconnus. C’est ma vie privée mais en même temps, c’est un sujet qui touche tout le monde. » Depuis, Véronique collectionne les demandes de connexion et – algorithme oblige – les suggestions de contenus en lien avec la santé mentale et le suicide.

Résistance à l’idéologie pro-Trump

Si elle se dit « touchée » par les soutiens qu’elle a reçus de toute part, la quadragénaire n’a pas été épargnée par « les messages pas sympas ». « Certains estimaient que mon post était “putaclic” et pensaient que je voulais faire de la pub pour mon profil », déplore, lasse, la quadragénaire qui s’est contentée de supprimer ce type de commentaires.

LinkedIn est, certes, perçu comme une plateforme à visée professionnelle permettant d’enrichir son réseau. Mais comme tout bon réseau social, il n’échappe pas au développement de contenus haineux et de fake news. Sollicitations sexuelles, harcèlement, désinformation… Dans son dernier rapport de transparence, l’entreprise affirme avoir éliminé plus de 86 millions de faux comptes au premier trimestre 2024. Environ 246 000 posts ou commentaires ont en outre été supprimés pour harcèlement et près de 106 000 pour « diffusion de la haine ».

Pour autant, cette plateforme reste l’une des seules à résister à l’idéologie pro-Trump. Son cofondateur, Reid Hoffman, n’hésite pas à clamer haut et fort son positionnement démocrate en ayant notamment soutenu financièrement Kamala Harris pendant sa campagne présidentielle. Un positionnement qui va à l’encontre de ses homologues à la Silicon Valley.

À LIRE AUSSI : “Un revirement à 180 degrés” : Mark Zuckerberg, du “geek sans émotion” à l’influenceur pro-Trump

À commencer par Elon Musk, propriétaire de X, qui chapeaute le Département de l’Efficacité gouvernementale (DOGE) depuis l’investiture du président des États-Unis. Ou encore Mark Zuckerberg, le patron de Meta, qui a récemment opéré un revirement conservateur en anti-modération, au profit de l’administration Trump.

« Sur LinkedIn, on s’assure de toucher des personnes civilisées, atteste Sophie (dont le prénom a été modifié), responsable marketing dans le domaine de la santé. Sur Facebook, Instagram et X, les gens ne font que déverser leur haine sur tout et n’importe quoi. » Ce 18 avril, la quinquagénaire a pris son clavier pour annoncer la mort de son mari, atteint d’un cancer du pancréas, sur le réseau professionnel. « On ne se prépare jamais vraiment à cette douloureuse issue… Aujourd’hui je voudrais rendre hommage à cet intellectuel brillantissime ! », a-t-elle ainsi écrit.

Phénomène de « Facebookisation »

Sophie l’assure : elle n’aurait jamais partagé une telle information sur un autre réseau. « J’ai totalement confiance en la qualité de LinkedIn, ce qui n’est plus le cas pour X ou Facebook. » Une assurance renforcée par la transparence permise par le réseau social, où chaque utilisateur figure – a priori – sous sa véritable identité. « On se sent de fait observé et identifié, ce qui crée un phénomène d’autocensure et explique le fait que sur LinkedIn, peu de gens évoquent leurs opinions politiques par exemple », souligne Guillaume Sibout, spécialiste en communication et auteur de Jeu de rôles : l’image de soi sur les réseaux sociaux (Éditions de l’aube, 2024).

Plus globalement, le story telling – ou l’art de raconter une histoire, en bon français – a la cote sur ce réseau social, en voie de « coolification ». Lancé en 2003 aux États-Unis, LinkedIn a débarqué en France en 2008 avec un design austère, bien loin du déversement de contenus pétulants sur Facebook et Twitter, apparus peu ou prou en même temps. Sur le réseau pro, les utilisateurs se bornaient à remplir leur CV et à lister leurs compétences.

À LIRE AUSSI : “Il n’y a pas d’usage raisonné du numérique”

Mais, « depuis quelques années, on observe un phénomène de “Facebookisation” », constate Guillaume Sibout. On en vient à parler de sa vie privée, à partager ses photos de vacances et à évoquer ses états d’âme, tout en gardant une certaine forme d’autosatisfaction permanente et mise en scène de soi assez théâtralisée. »

En témoignent le développement du format vidéo à la verticale ou la prolifération de selfies – signes d’une volonté de « personnaliser » son profil. Voilà par exemple un an que Katia, courtière en énergie, se sert de sa page LinkedIn pour « gagner en visibilité », mais pas seulement dans la sphère strictement professionnelle. « Je fais du story telling pour me faire connaître autrement que comme “Katia, la courtière en énergie” », lance la Bretonne de 44 ans.

Sa technique ? Elle multiplie les selfies, les vidéos et les témoignages intimes. Récemment, elle a publié un message en hommage à l’un de ses amis, mort dans un accident de la route il y a 25 ans. « C’est pour sensibiliser mes abonnés à la sécurité routière. Avec ce type de posts, désormais, les gens me reconnaissent. Je suis devenue la “Katia de LinkedIn” », relate la quadragénaire, assurant que l’important pour elle est de « devenir quelqu’un ».


Nos abonnés aiment

Plus de Société

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne

0 0 votes
Article Rating
S’abonner
Notification pour
guest
0 Comments
Le plus populaire
Le plus récent Le plus ancien
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Welcome Back!

Login to your account below

Create New Account!

Fill the forms below to register

Retrieve your password

Please enter your username or email address to reset your password.

Add New Playlist

0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x
Are you sure want to unlock this post?
Unlock left : 0
Are you sure want to cancel subscription?