Hans Lucas
L’usine d’en bas
Par Olivier Lluansi
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À force de courir après les priorités industrielles du moment, la France semble construire sa stratégie économique à coups d’effets de mode. Après la santé, l’industrie verte, place à la défense. Mais sans un socle productif solide, et décentralisé, tous ces paris risquent de s’effondrer, explique Olivier Lluansi dans cette tribune.
Nos priorités industrielles récentes semblent fonctionner par « mode », l’une remplace l’autre sans continuité. Nous avons ainsi vécu l’ambition d’une réindustrialisation par les ruptures technologiques et les étincelantes start-up industrielles. Aujourd’hui, elles peinent à trouver un second souffle et des financements. Les difficultés traversées actuellement par Ynsect, le producteur industriel d’insectes, et bien d’autres en sont l’illustration.
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À la sortie du Covid, ce fut la phase « souveraineté sanitaire » avec sa liste de 150 médicaments critiques, ses prix préférentiels pour le Made In France, ses aides à la relocalisation, etc. Celle de la production du Doliprane est l’arbre qui cache une forêt bien clairsemée, à peine une douzaine de dossiers. Puis ce fut le temps de l’« industrie verte », avec l’ambition d’en devenir le leader en Europe voire dans le monde. Mais avec stupeur nous découvrons nos retards et nos dépendances dans ces secteurs que nous prétendions dominer : voitures électriques, batteries, panneaux photovoltaïques. Nous constatons aussi l’impasse économique de l’hydrogène avec une électricité chère.
Le temps est à l’industrie de défense
Le sujet devenu central, c’est désormais l’industrie de la défense, actualité oblige. Cela fonctionnerait enfin ? Nous avons une industrie de défense, de pointe. Certes, mais nous avions aussi une base technologique indéniable pour réussir une réindustrialisation par les start-up. Nous avions également des leaders dans l’énergie et les gaz qui auraient dû nous permettre de réussir « l’industrie verte ». Alors est-ce vraiment le sujet ?
En fait, depuis 2009, notre politique industrielle est binaire. D’une part, une politique de l’offre indispensable à notre compétitivité, de l’autre des paris technologiques : les 34 plans Montebourg, les 9 priorités de la Nouvelle France Industrielle, les ruptures technologiques portées par les start-up, les cinq paris de l’industrie verte ou encore les 10 enjeux clés de France 2030.
Nous sommes inspirés en cela des grands plans gaullo-pompidoliens, dernière politique industrielle ayant vraiment réussi et rempli le pays de fiertés. Le Président de la République n’avait-il pas d’ailleurs affiché les images du TGV, d’Ariane, d’Airbus et des centrales nucléaires derrière lui lorsqu’il a lancé France 2030 ?
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Mais voilà… entre 1950 à 1970, nous vivions aussi les « trente glorieuses ». Les Français s’équipaient de réfrigérateurs, de radios, de TV, de voitures. Ces biens intermédiaires étaient pour la plupart fabriqués en France. Leur production constituait un socle industriel qui alimentait notre croissance et surtout formait des cohortes de techniciens et d’ingénieurs, consolidait notre base de savoir-faire industriels… laquelle permit de réussir les grands plans de l’époque.
« Notre tissu industriel est l’un plus fragiles de l’Union européenne »
A contrario, aujourd’hui, les montées en cadence de l’aéronautique civile – dont les chaînes d’approvisionnements sont très similaires à celles de la défense – ne sont limitées ni par nos savoirs technologiques, ni par des questions de financement des donneurs d’ordre. Elles le sont par les faiblesses et les insuffisances de la filière de sous-traitance. Notre tissu industriel est l’un plus fragiles de l’Union européenne. Pire il se délite plus encore tous les mois, contrairement à ce que prétend le Gouvernement.
Ne répétons pas les mêmes erreurs. Ne limitons pas nos efforts de soutien aux grands programmes et aux grands donneurs d’ordre. Ne les limitons pas plus aux 1000 petites et moyennes entreprises dites « stratégiques », identifiées comme telles dans la base industrielle et technologique de défense (BITD). Car nous sous-estimons trop l’intrication des chaînes de valeur. C’est bien l’ensemble de notre tissu industriel qu’il faudra soutenir pour réussir.
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Comment faire ? Idéalement une réelle décentralisation par laquelle les moyens d’accompagnement du développement de notre tissu économique ne resteraient plus concentrés, à 80 % voire 90 %, entre les mains d’un État centralisateur et loin des territoires et des PMI. Ce serait une gageure en ces temps de paralysie politique.
Alors, a minima, que l’État accepte au moins de partager des enveloppes pilotées conjointement par les Présidents et les Préfets de Régions, sans trop d’exigence sur les innovations de rupture mais pour consolider, développer, moderniser notre socle productif ancré dans les territoires. Il faudrait redéployer seulement trois cents millions d’euros par an de France 2030 pour réactiver un fonds d’accélération des projets industriels dans les territoires. C’est à notre portée. À défaut, nos grands programmes et nos paris technologiques risquent d’être comme des « châteaux construits sur du sable ».
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne