Vote des séniors : les raisons du “grand remplacement” de la droite traditionnelle par le RN

De scrutin en scrutin, le vote des seniors est l’enjeu de toutes les convoitises. Plus mobilisés que la moyenne, ces derniers influencent fortement l’issue des élections. Traditionnellement acquis à la droite, le vote des plus de 60 ans a longtemps empêché le Rassemblement national (RN) d’accéder au pouvoir, en étant un rouage essentiel du fameux « barrage républicain » dont a bénéficié Emmanuel Macron en 2017 et 2022… cette catégorie électorale se caractérisant surtout par une « aversion au risque » – comme le soulignait encore Jérôme Fourquet dans L’Archipel français en 2019 –, la rendant plus réticente à des candidatures populistes ou de ruptures.

Mais ces dernières années, cette tendance de fond semble avoir cédé sa place à une recomposition électorale inédite. Dans une note pour la Fondation Jean-Jaurès et l’institut de sondage Cluster 17 publiée ce mercredi 23 avril, le doctorant en science politique Stéphane Fournier analyse comment le parti de Marine Le Pen est devenu majoritaire chez les plus de 60 ans. À partir des données Cluster 17 et d’entretiens qualitatifs, l’analyste politique revient sur les raisons du basculement d’un vote « légitimiste » des séniors à un vote « identitaire », que l’on a notamment pu observer lors de la séquence électorale de 2024 marquée par une forte progression du vote RN.

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Le déclin des partis traditionnels

Lors des législatives anticipées de juin dernier, 26 % des plus de 65 ans ont ainsi voté pour un candidat du parti dirigé par Jordan Bardella, contre seulement 12 % aux précédentes législatives de 2022 – soit une augmentation considérable. À noter que le RN ayant progressé dans toutes les catégories de la population, la part représentée par les seniors dans son électorat demeure plutôt « stable », passant de 16 à 20 % en deux ans.

Alors, certes, on est loin du tiers que représentent les séniors dans l’électorat LR ou Renaissance, comme le souligne l’étude, mais cette hausse demeure tout de même significative tant « ce segment de la population était perçu par certains comme le symbole d’un “plafond de verre” électoral » du RN. In fine, c’est bien le parti de Marine Le Pen qui est arrivé en tête chez les retraités aux dernières législatives, recueillant 31 % des voix – contre 29 % pour le camp présidentiel. Une hausse que l’on pouvait déjà constater auprès des plus « jeunes » retraités en 2022.

Cette progression du « vote gris » en faveur du RN s’inscrit dans le « déclin des partis traditionnels », à savoir le PS et l’UMP (devenu Les Républicains), et notamment de « l’inexorable chute des LR ». L’étude souligne ainsi que le RN a majoritairement réussi à capter un électorat de séniors de droite « disposant d’un système de valeurs et d’attitudes penchant clairement du côté conservateur et ayant voté à droite pendant très longtemps ». Le ralliement de ce « peuple de droite » s’expliquerait en grande partie par une hausse des motivations identitaires.

Un gap générationnel

La note de la fondation Jean-Jaurès s’intéresse aussi aux « valeurs » des seniors, qui apparaissent comme « plus conservatrices que la moyenne des Français ». On observe ainsi chez les séniors qui votent RN une forte méfiance envers l’islam, un rejet de l’immigration et des préoccupations sécuritaires. L’étude rappelle par ailleurs qu’aux dernières élections européennes, l’immigration était le premier déterminant électoral – notamment chez les plus vieux, de quoi illustrer un « gap générationnel ».

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Si 28 % des électeurs français ont cité l’immigration comme motif principal de leur vote à cette élection du 9 juin 2024, cela grimpe à 31 % parmi les 65-74 ans et même 40 % chez les plus de 75 ans. Un fossé générationnel que l’on constate aussi sur les questions relatives à l’Islam. 84 % des 65-74 ans sont ainsi opposés au port du voile à l’université, contre 49 % des 18-24 ans. A contrario, seuls 26 à 29 % des seniors se disent favorables aux menus halal dans les cantines, contre 58 % des 18-24 ans – révélant à nouveau un écart très important.

L’étude pointe également le rôle de CNews comme caisse de résonance pour cet électorat. La chaîne de Vincent Bolloré n’agirait pas comme un convertisseur d’électeurs, mais plutôt comme un « accélérateur de particules » pour un public conservateur déjà réceptif aux idées identitaires.

Une « opération de “nettoyage” »

Si 2024 marque le passage des seniors d’un vote « légitimiste » à un vote « identitaire », c’est notamment à cause du bilan du président de la République, relève aussi l’étude. Alors qu’un quart des seniors interrogés confient même avoir choisi Emmanuel Macron face à Marine Le Pen en 2017, ils expriment désormais leur forte déception vis-à-vis de la politique menée. Flou idéologique, absence de cap politique clairement à droite, « échec » en matière de sécurité et d’immigration… Un rejet renforcé par l’incapacité des Républicains à offrir une alternative crédible au macronisme.

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L’année 2024 a aussi marqué un pas de plus vers la mue du RN dans le processus de « simplification » de son programme – avec « une opération de “nettoyage” » autant sur les sujets économiques qu’internationaux, comme le relève l’étude. Fini la sortie de l’euro ou la retraite à 60 ans. De rendre le parti plus acceptable pour cette frange de l’électorat et permettre d’achever de la convaincre de basculer en sa faveur.

Reste à voir si la récente condamnation de Marine Le Pen ne risque pas de représenter un « “retour en arrière” pour le Rassemblement national dans sa “normalisation” médiatique », s’interroge l’analyste. Et de rappeler que 61 % des Français approuvaient la décision de justice concernant la cheffe de file du RN au lendemain des faits. La stratégie « anti-juges » esquissé par le RN ces dernières semaines pourrait « ralentir voire affaiblir sa progression dans l’électorat modéré, notamment chez les plus âgés », affirme l’analyste Stéphane Fournier, qui évoque aussi la piste d’une résurgence d’une autre offre de droite issue de LR ou du clan d’Éric Zemmour.