Depuis sa réélection à la tête de la première économie mondiale, Donald Trump abat les conventions du libre-échange sur lesquelles s’est méthodiquement construit le modèle en vigueur depuis l’après-guerre. La gauche de rupture a toujours incarné l’opposition à cette construction des relations internationales fondées sur un commerce inégal, qui mènent inexorablement à l’appauvrissement des peuples, à l’enrichissement des plus puissants, aux guerres et au désastre écologique. Cette remise en cause de l’ordre économique établi gagne aujourd’hui l’ensemble de la gauche qui ose parler de protectionnisme et démontre que la bataille culturelle est sur le point d’être gagnée. Ce tournant historique dans l’histoire économique constitue une opportunité sans pareille de repenser les relations internationales en profondeur afin de créer un cadre de coopération équitable et orienté pour répondre à nos besoins : la protection de l’environnement, la paix et la solidarité.
Contrairement à ce qu’ont affirmé de nombreux commentateurs politiques, les forces de gauche ne se réjouissent pas des récentes décisions de Donald Trump. Elles s’inscrivent au contraire largement en faux du protectionnisme états-unien, dont la seule vocation est de soumettre les nations du monde entier aux exigences d’une puissance impérialiste en déclin : les menaces d’annexion du Canada, dont 80% des exportations sont à destination des États-Unis, sont la preuve de l’utilisation coercitive du protectionnisme par ces derniers. Donald Trump profite ainsi de la dépendance de nombreux pays, dont l’Allemagne, le Canada et la Chine, au marché américain du fait du libre-échange pour leur imposer sa volonté. Il assortit sa politique commerciale à la destruction des législations environnementales et à la sortie des accords de Paris pour attirer des capitaux étrangers dans une logique de dumping normatif. À rebours du projet que nous défendons, il relance l’exploitation des énergies fossiles et réduit drastiquement l’aide au développement. Face à cette logique mortifère, il est donc urgent de repenser nos relations commerciales afin d’éviter de nous placer dans une relation de dépendance économique qui met en péril jusqu’à notre sécurité. Et c’est là l’un des principaux objectifs du protectionnisme écologique et solidaire porté par la France Insoumise.
Il ne faut donc évidemment pas confondre les propositions que nous portons depuis plusieurs décennies et celles défendues par le Président américain. Les différences sont en effet nombreuses, tant par leurs objectifs que leur mise en œuvre : lorsque Donald Trump impose brutalement et sans concertations préalables des droits de douane exorbitants, nous privilégions un protectionnisme progressif qui laisse le temps aux acteurs économiques de restructurer leur chaîne de valeur. Lorsqu’il impose des droits de douane pour étouffer économiquement d’autres nations, nous souhaitons mettre en place des barrières aux échanges qui nous permettent de retrouver notre souveraineté dans des domaines stratégiques et d’imposer des normes sociales et sanitaires aux produits importés équivalents aux produits européens, avec le souci de protéger la santé des Européens et les droits des travailleurs dans le monde entier. Lorsqu’il réduit sa politique étrangère au commerce et à la défense, nous proposons de renforcer les outils de coopération culturels et écologiques, le multilatéralisme et l’aide au développement afin de créer un cadre de coopération équitable et solidaire entre les peuples.
En remettant en cause le libre-échange qui favorise le dumping sous toutes ses formes, il sera aussi possible de relocaliser les productions stratégiques telles que la sidérurgie, les industries de la défense, et les technologies nécessaires à la bifurcation écologique. Il s’agit là d’un impératif non seulement pour protéger les millions d’emplois menacés par la politique de Trump, mais aussi pour réinventer les relations internationales, aujourd’hui guidées par le commerce, afin de les mettre au service de l’intérêt général et du bien commun.
Repensons également les institutions financières internationales en orientant leur action en faveur de la lutte contre le changement climatique et le progrès social. Leur mode de fonctionnement doit permettre à chaque État de peser dans le processus décisionnel, en lieu et place d’un FMI qui conditionne ses prêts à l’ouverture au commerce international et à la privatisation des entreprises, et dont le système de vote donne une voix prépondérante aux États en fonction de leur PIB.
Le commerce, pensé par de nombreux courants politiques comme un outil pacificateur des relations internationales, a été vecteur de velléités de domination économique et politique et de dépendances envers les États-Unis. Cette dépendance a par la suite privé les États de la capacité de parler en leur nom sur la scène internationale et a engagé nombre d’entre eux, en particulier en Europe, dans un atlantisme aveugle et guerrier. Mettre un terme au libre-échange est un impératif non seulement pour notre souveraineté, mais aussi pour la paix.
Nous avons donc l’obligation de saisir ce moment pour repenser les relations internationales de la France et de l’Europe. Alors que les failles de ce système économique sont révélées au grand jour par les décisions de Trump, le prochain chancelier allemand, Friedrich Merz, appelle de ses vœux à régler la guerre commerciale avec Trump en signant un nouvel accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. Quelle autre preuve de l’aveuglement idéologique de nombreux dirigeants européens avons-nous besoin pour comprendre qu’il faut rompre avec le système aujourd’hui en vigueur ? Nous ne pouvons espérer trouver notre salut, comme le souhaite la Commission européenne, dans la multiplication de nouveaux accords commerciaux fondées sur les mêmes impératifs de dérégulation et de concurrence déloyale. Nous sommes également conscients de la nécessité de proposer des partenariats stratégiques et circonscrits à nos besoins lorsque ces derniers ne peuvent être satisfaits par des productions européennes. Mais leur conception doit être équilibrée et prendre en compte de hauts standards sociaux et environnementaux. Ces partenariats doivent avoir lieu dans le cadre de coopérations diversifiées – diplomatiques, scientifiques et culturelles – en particulier avec le Sud global.
Il est temps de proposer un nouveau cadre de coopération internationale au service de la transition écologique, de la paix et de la solidarité entre les peuples.
(*) Marina Mesure
Présidente de la délégation de la France insoumise au Parlement européen et
Membre de la commission du commerce international au Parlement européen
Marina Mesure